mardi 27 août 2013

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

On a beaucoup parlé, sous le règne de Louis XIII, de la magnificence de Buckingham, qui laissait tomber de son manteau des perles fines mal attachées, et aussitôt ramassés par les avides et bas courtisans de la cour de France. Ce brillant seigneur anglais a maintenant une digne descendante. Le jour du sacre de l'empereur Alexandre, au moment où le cortège entrait au Kremlin, un magnifique collier de perles fines que portait Lady Granville, femme de l'ambassadeur d'Angleterre, s'est détaché, et les perles, dont le lien était cassé, se sont répandues par terre. Lady Granville s'est aussitôt retournée. Mais, voyant que ces objets précieux étaient ramassés par de pauvres serfs, que la curiosité avait attirés sur les pas du cortège, elle a ordonné qu'on les laissât faire, en disant à haute voix qu'elle leur faisait don de ces perles. C'est la même générosité que Buckingham, mais beaucoup mieux placée.

Toutes nos dames auraient bien besoin d'avoir la bourse de Lady Granville par le temps de toilettes folles qui court. On a fait un singulier calcul: on a reconnu que, en prenant la mesure de la colonne Vendôme, du haut de la balustrade jusqu'à terre, on aurait juste la longueur d'étoffe qu'il faut maintenant pour habiller une femme, en comptant les cinq jupons et la robe, c'est à dire cinquante deux mètres. Jusqu'à présent, il n'y avait que les jupes à ballons, ce qui avait même, par parenthèse, inspirés de jolis couplets, qui finissaient ainsi:
                                                            "C'est le moment des robes à ballon,
                                                            Plus d'une aurait besoin d'un parachute."

Mais à présent, nous avons les robes éléphant et les manches monstres. Avec ces dernières, le bras d'une femme n'est plus qu'un prétexte pour étaler des monceaux de soie, de mousseline, de dentelles. C'est bien assez de consommation; mais on parle encore d'agrandir les chapeaux. Ils est vrai qu'ils en ont grand besoin, et que les coiffures Tom-Pouce jurent étrangement avec l'ampleur du reste du costume. Mais où trouvera-t-on un reste d'étoffe pour subvenir à cette augmentation ?
De plus, cette année, les vers à soie sont malades; ils se sont mis au lit comme les raisins et les pommes de terre. Et ceci n'est pas une plaisanterie, les fabriques de soiries sont réellement inquiètes de la pénurie de matière pour la fabrication prochaine. Vous voyez dans quelle situation les marchands et les femmes vont se trouver.
A ce propos, une dame disait que les vers à soie avait de l'oïdium.
Ce mot nous rappelle quelques naïvetés qu'on pourrait intituler bétises du jour.
Dernièrement, un souverain d'Europe parcourait ses Etats. Ayant reçu le maire d'une petite ville qu'il traversait à sa table, il daigna lui-même choisir une pêche dans une corbeille de fruits, et la présenter au maire de sa main souveraine.
- Ah ! sire, dit celui-ci en regardant la pêche avec des larmes d'extase, je la mangerai toute ma vie !
Dans cette même ville, voisine de Lyon, et où l'archevêque de ce diocèse était venu saluer Sa Majesté, un chirurgien-accoucheur, mais le seul de l'endroit, est appelé auprès du prélat, légèrement indisposé. Il le soigne; puis de retour chez lui, notre homme se hâte d'agrandir l'enseigne qui porte son nom, et il fait inscrire en lettres d'or sur la plaque de marbre noir
                                          ***, chirurgien- accoucheur de monsieur l'archevêque.

Un Provençal vint aussi jusque là embrasser un de ses amis d'enfance attaché à la cour. Tous deux furent si heureux de se revoir, que celui qui revenait à Paris à la suite du souverain dit à son compatriote que, aussitôt arrivé, il ferait faire son portrait pour le lui envoyer.
- Comment te feras-tu peindre ? demande l'ami
- Mais à l'huile.
- Alors, mon cher, emportes-en d'ici; car, dans ce maudit pays, ils font tout au beurre.

Plus loin, voici un marin qui, après avoir fait deux ou trois fois le tour du monde, vient passer quelque temps à la campagne chez ses amis. Là, il est obligé, pour une promenade, de monter à cheval; mais malheureusement il a enfourché un mauvais bidet qui ne veut pas marcher. Le marin tire alors son mouchoir, l'expose au vent et regarde.
- Je ne m'étonne pas que mon cheval n'avance pas, le vent est contraire.

                                                                                                 Paul de Couder

Journal du Dimanche, 9 novembre 1856.

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