jeudi 31 janvier 2019

Les chasseurs de rats.

Les chasseurs de rats.


Paris est menacé d'une invasion terrible! Une armée noire, souterraine, campe dans l'enceinte de la capitale et la prendrait si elle était plus brave! Que d'hommes reculeraient devant une légion de rats! Or, des centaines de mille de rongeurs se cachent dans les égouts, dans nos caves, dans les jardinets des quartiers excentriques. On en a vu roder dans les baraquements des vieux hôpitaux. Alerte! L'ennemi est là!
Sans plaisanterie, la guerre aux rats est devenue nécessaire à Paris. Un chasseur de rats a obtenu le privilège de combattre l'invasion noire dans les égouts. Et tel autre pourfendeur de surmulots opère en ville.
Je veux dire un mot de ce dernier qui garde de toutes bestioles rongeuses les bureaux de Mon Dimanche.
Notre homme a inventé telle poudre raticide dont la senteur met en fuite les plus enragés grignoteurs de manuscrits. Vaille que vaille sa poudre, cet industriel gagne 80.000 par an; ce qui prouve, tout au moins, l'horreur qu'inspire aux Parisiens la gent croque-tout gourmande de sucreries ou de charognes.

Preneur de rats de Sa Majesté.

En Angleterre où l'on cultive le rat pour apprendre aux terriers comment il le doivent exterminer, un homme chasse les rongeurs pour le compte d'Edouard VII. Ce haut fonctionnaire se nomme John Black et écrit sr sa carte de visite:

Preneur de rats du roi d'Angleterre.

John Black, issu d'une glorieuse lignée de preneurs de rats royaux, habite une maison peu banale qu'a visitée un reporter du Tit-Bits.
C'est une raterie modèle. Les rongeurs sont partout. Leurs petites cages en fer s'entassent sous le lit de John Black, sur la table, et grimpent le long des murs. On leur donne une pâture abondante, faute de quoi, ils s'entre-dévoreraient comme de simples mortels luttant pour la vie.
John Black n'est pas seulement preneur de rats royaux, il accepte en pension des bestioles que lui confient les gentlemen désireux de prouver, en un prochain concours, les mérites de leurs chiens. Les luttes entre fox-terriers pour capturer et mettre à mort un certain nombre de rats en un temps déterminé, commencent aussi à attirer les amateurs en France. Elles ont lieu au bois de Boulogne. Chez le preneur de rat anglais vivent autour des noirs captifs des blaireaux et des chiens dressés à prendre les rongeurs.
John Black est fier de sa charge, de son titre. Il montre volontiers à ses visiteurs le parchemin que la reine Victoria délivra à son père, en reconnaissance des services rendus. Près de son lit figure un cadre rond en bois noir, le monogramme royal en argent flanqué, à droite et à gauche, de rats argentés. Ce sont là ses armes. Et il a voulu qu'un peintre de mérite le représentât sur la toile en costume officiel, pour en imposer à la postérité. Il est debout, vêtu d'une veste noire, d'un gilet rouge, tout enjolivé de broderies or, logé en de hautes bottes cirées comme un parquet de Windsor. Sa main droite tient un chapeau de soie en un geste négligé, élégant. M. John, Black montre une figure tout à fait imposante. Mais les rats ne craignent pas son effigie. En une nuit de représailles, quelques-uns de ses pensionnaires réussirent à s'évader de leur prison grillagée, grimpèrent le long de la paroi et grignotèrent le portrait à belles dents. 


Ils ne s'en prirent toutefois qu'aux bottes de leur ennemi. Mais les traces de leur dévastation subsistent encore.


Ce que l'on paye John Black.

Les mérites du preneur de rats royaux sont connus de l'Angleterre entière. Et de toute part, on l'appelle à la rescousse quand l'envahisseur à quatre pattes menace la tranquillité des sujet d'Edouard VII. Quelles belles victoires que celles de John Black! Il réussit à capturer, il y a peu, dans une maison de campagne, dans le comté de Hariford, 480 rats.
Ces rencontres avec les rats sont fructueuses pour le fonctionnaire royal. Il demande, quatre, six, et même dix francs par douzaine de bêtes enlevés d'un logis. Les prix varient suivant l'espèce du rongeur, la qualité de ses dents et la longueur de sa queue. L'ennemi le plus redoutable de John Black, c'est le rat brun. Et notre homme reçoit vingt sous par museau de cette sale bête capturée.
Quand les rats sont nombreux, le chasseur fait donner sa meute de chiens, de fouines spécialement dressées. Et il a souvent pour compagnon dans ses grandes chasses un jeune Anglais, fort riche, qui paye le trappeur pour assister à de grandes hécatombes de rongeurs. Ce gentleman fut jadis privé d'une grande partie de son nez par un surmulot friand de la chair des bébés. Depuis, il a une dent contre les rats, et se venge comme il peut.
Dans les maisons où les trotte-menu n'opèrent que par couple ou isolément, John Black ne fait que tendre des pièges et se met lui-même à l'affût de son gibier. Voici comment. Armé d'un long bâton qui supporte un filet assez semblable à l'instrument cher aux chasseurs de papillons, il se tient assis au milieu de la pièce, immobile, tendant l'oreille pour percevoir les bruits ténus qui révèlent la présence de ses ennemis. Il entend très distinctement le travail des petites dents s'attaquant au bois des meubles par simple besoin de ronger, de détruire, et il guette. Dès que le petit animal quitte son refuge pour explorer le monde, le filet de John Black tombe sur lui aussi rapide, aussi adroit que la patte du plus rusé des matous.



Et notez que le chasseur s'empare de sa proie sans se servir de pincettes pour la plonger dans l'implacable prison d'une cage en fer. Son être est vacciné depuis longtemps. Quand il a été entamé par quelque vaillant guerrier, Black voit son avant-bras enfler. Mais il applique sur sa blessure une composition de plante à sa façon. Et de guérir aussitôt.
Hôtels, banques, journaux, théâtres, cafés, collèges doivent à John Black de ne pas redouter la terrible invasion noire. Et notre homme serait riche s'il n'aimait pas certain petit rongeur qu'il a créé. Le fils de John vit dans la fortune de son papa comme une souris dans un fromage de Hollande. C'est un joyeux croqueur! Mais Black espère que son petit rat s'amendera et se montrera digne de lui succéder en sa charge royale.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 novembre 1903.

lundi 7 janvier 2019

Ceux dont on parle.


De Féraudy.

M. de Féraudy* a quarante-quatre ans. Il en a pris son parti et a cessé de jouer les rôles de jeunes comiques. Mais il les fait jouer à ses élèves, puisqu'il est professeur, comme vous le savez, au Conservatoire national de musique et de déclamation. C'est pour la déclamation que M. de Féraudy est au conservatoire: il faut le dire, car cet acteur n'est pas ignorant de musique et ne manque pas, toutes les fois qu'il le peut, de montrer qu'il chante juste. Ici se place une remarque fort banale: c'est que le talent dont les hommes tirent le plus de vanité n'est généralement pas celui qui a fait leur réputation: c'est pourquoi M. de Féraudy chante souvent sur scène; M. Leloir* aussi. Mme du Minil* joue du piano, Mlle Dudlay* ne sait rien, que la tragédie.
Il faut avouer que chantonner au cours d'un rôle, cela donne à l'acteur un petit air bonhomme tout à fait naturel. C'est une ficelle, soit, mais une ficelle qui n'est pas à la portée de tout le monde de tirer. Quand M. de Féraudy est en scène, il a l'air d'être chez lui. Quand il chante, oh! alors quand il chante, on croirait qu'il est dans sa chambre à coucher, en train d'attacher ses bretelles.



Le chant n'est cependant pas le seul talent supplémentaire, l'accessoire, de M. de Féraudy. Il a reçu des Muses le don de faire des vers gais et sans prétention, et d'écrire des pièces le plus souvent en un acte, mais bourrées d'esprit (du moins M. de Féraudy le croit). C'est écrit avec un esprit facile, et tout rond, comme le jeu de M. de Féraudy. Généralement, il se fait aider par des collaborateurs tels que M. Georges Berr* et M. Bouché qui, comme chacun sait, sont des auteurs dramatiques extrêmement remarquables. M. de Féraudy a donné notamment: A quoi rêvent les jeunes gens (avec M. Bouché, 1892), Deat-Deat (seul, 1893), Où est donc papa? (avec M. Georges Berr, théâtre Déjazet, 1903). Il suffit de citer ces titres pour rappeler d'éclatants succès.
Un temps viendra certainement où les directeurs de théâtre réserveront la commande de leurs spectacles aux sociétaires de la Comédie-Française. Ces messieurs ont joué tant de pièces qu'ils se croient capables d'en écrire. Ils pourraient se faire le petit raisonnement suivant: nous composions jadis un Comité de lecture qui a reçu pas mal de pièces à jouer; cela nous prouve que nous ne connaissons pas les goûts du public: dispensons-nous de faire des pièces de théâtre. Ils aiment mieux écrire que raisonner, et par là ils montrent qu'ils sont en effet dignes d'entrer dans la grande famille des plumitifs.
Pour en revenir à M. de Féraudy, je voudrais raconter sa vie, mais elle n'est pas de celles qui se racontent. Il m'est interdit de lever le voile de la vie privée, et sa vie publique a la simplicité de l'antique. Il fut mis dans sa vingtième année entre les mains de Got qui le pétrit et le déposa, couronné d'un premier prix de comédie, sur la scène du Théâtre-Français. Il dut lui recommander alors de rester bien sage, car M. de Féraudy n'a cessé de mériter des compliments pour sa bonne tenue.

                                                                                                                              Jean-Louis

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 29 novembre 1903.

Nota de Célestin Mira:

* M. de Féraudy:

Dominique, Marie, Maurice de Féraudy.

* M. Leloir:

Louis Leloir de son vrai nom Louis Pierre Sallot.

* Mme du Minil:

France, Renée du Minil de son vrai nom
 Renée Marie Louise Thérèse Marthe Seveno
.

* Mlle Dudley:

Adeline Dudley dite Mlle Dudley
de son vrai nom Adeline Dulait.

Mlle Dudley, sauvée des flammes,
lors de l'incendie du Théâtre français.

* Georges Berr:

Georges Berr.

samedi 5 janvier 2019

La faculté a parlé.

La faculté à parlé.



- Docteur, je suis bien malade, je ne puis supporter
ni les écrevisses, ni les truffes, ni le foie gras; que faut-il faire?
-Eh bien, madame, n'en mangez pas!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 29 novembre 1903.

Ceux dont on parle.

Clovis Hugues*.

On l'appelle généralement le député poète, bien qu'il ne soit pas le seul représentant de la nation qui se soit essayé à rimer. M. Leygues* et M. Maurice Boukay-Couyba*, pour ne citer que les plus connus, ont chanté leurs amours, au temps où cela ne pouvait pas les compromettre. Depuis lors, ils ont laissé ce soin à d'autres. Mais M. Clovis Hugues n'abandonna pas son art aussi facilement, et le souci de l'intérêt de la Villette ne l'empêche pas d'écrire à l'occasion de joyeux couplets ou de célébrer Jeanne d'Arc avec émotion.
Ce n'est pas que M. Clovis Hugues soit fort pieux. Bien qu'il ait porté la soutane pendant trois mois (il avait seize ans alors), c'est un sceptique. Il a pourtant des superstitions et avoue qu'il ne toucherait pas à un serpent, qu'il ne dormirait dans le lit d'un trépassé que si on avait tourné ce lit dans un autre sens. Faiblesses d'une petite âme impressionnable. Il n'y a qu'une religion qui compte M. Clovis Hugues parmi ses fidèles: c'est la religion de la Patrie. Si M. Déroulède n'existait pas, je dirais que c'est le dernier chauvin qui nous reste. Mais M. Clovis Hugues ne prépare pas de révolution et ne sera pas banni. Il peint de petits paysages et fait de petits vers qu'il récite parfois en trempant une main dans ses boucles qui s'agitent alors avec fièvre.



M. Clovis Hugues, qui est méridional, possède une éloquence des plus vibrantes. Etant entré, un jour dans une salle de réunion (il n'avait pas encore jeté le froc aux orties), il entendit crier: "A la tribune, l'abbé!". Il parla et les acclamations l'accompagnèrent jusqu'à la porte. C'est à ce moment qu'il quitta la robe et l'institution qui l'avait pris pour pion.
Ses parents, très gênés, ne pouvant lui venir en aide, il se plaça chez un courtier de commerce; pour vingt francs par mois il ramassait des échantillons de blé autour de la Bourse. Ensuite il entra dans le journalisme, mais d'une manière assez bizarre: il débuta comme garçon de bureau au journal Le Peuple, dont il fut plus tard rédacteur. Son attitude à Marseille pendant la Commune lui valut quatre ans de prison. Il rentra dans le journalisme aussi fougueux qu'auparavant, et depuis vingt-deux ans il siège à la Chambre comme radical-socialiste.
Il y a remporté des succès d'orateur, mais depuis quelque temps, il semble chercher le repos et se contente de souligner à l'occasion, d'une apostrophe railleuse et sans fiel, la faiblesse d'un argument développé à la tribune. Ses interruptions sont faites dans ce langage imagé par lequel M. Clovis Hugues a séduit ses électeurs, les bouchers et les cochers de la Villette.
M. Clovis Hugues a épousé civilement une amie d'enfance. Il a deux filles, dont l'une est mariée à un député, M. Andrieu. Et ce poète à la vie tourmentée et romanesque est parfaitement heureux, parce que ses deux filles sont belles comme les Muses.

                                                                                                                             Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 novembre 1903.

Nota de Célestin Mira:

*Clovis Hugues:




* Georges Leygues:






* Maurice Boukay-Couyba:




Clovis Hugues au ciel.

M. Camille Flammarion eut un soir l'idée de visiter le cabaret du Ciel, à Montmartre. A peine était-il entré que le patron s'écriait: "Voilà Clovis Hugues! un ban à Clovis!" 
(M. Flammarion, comme Clovis Hugues, possède une opulente chevelure; mais tandis que les cheveux du poète sont gris, l'astronome a gardé ses boucles noires.)
Souriant de la confusion, le savant approche sans mot dire; mais se penchant à son oreille, son hôte lui confie avec malice: "Quand Clovis Hugues vient, je l'appelle Flammarion."

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 novembre 1903.

vendredi 4 janvier 2019

Machine parlante.

Machine parlante.





Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1903.

L'indispensable.

L'indispensable.



Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1903.

Une vraie merveille.

Une vraie merveille.




Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1903.

Des chefs de gare dans des cages.

Des chefs de gare dans des cages.

Chez nous, quand les enfants sont bien sages, on les emmène le dimanche au Jardin des Plantes, au Jardin d'Acclimatation ou à la ménagerie. Mlle Nini et M. Toto ouvrent de grands yeux devant les cages pleines de bêtes féroces et frissonnent quand papa dit:"Tiens! regarde, c'est le tigre!"
Aux Indes, c'est le contraire qui se passe! Le dimanche, et même les jours de semaine, maman tigresse fait la toilette de ses petits, les lèche de son mieux et alors toute la famille de bondir à travers la jungle jusqu'à la prochaine voie ferrée.
Là, dans une cage aux barreaux formidables, trône... le chef de gare de la région! Et les jeunes tigres fixent sur lui de grands yeux étonnés quand maman tigresse murmure:"Voyez! mes enfants: dans la cage, c'est un homme!"
A parler sérieusement, les compagnies de chemins de fer des Indes mettent leurs chefs de gare dans des cages, comme le montre notre gravure. 


Non point pour amuser les petits tigres mais pour les soustraire aux dents et aux griffes de maman tigresse et de papa tigre qui, là-bas, raffolent..., à leur façon, de ces modestes fonctionnaires.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1903.

mercredi 2 janvier 2019

Les jeunes filles qui travaillent.

Les jeunes filles qui travaillent.

Le progrès marche. Dès à présent beaucoup de carrières sont offertes aux jeunes filles laborieuses. Nous avons la bonne fortune d'offrir à nos lectrices des renseignements précis sur ce sujet. Commençons par les Banques.
Pour entrer au Crédit Foncier de France:
Concours obligatoire. - Etre Française.- 19 ans au moins. - 30 ans au plus.- Bonne constitution. - Certificat d'études primaires.- Un an au moins de stage.- Concours à Paris: aspirantes convoquées par lettre individuelle.
Programme écrit.- (Pas d'examen oral)
Matières: Ecriture.- Calcul rapide. -Dictée.- Rédaction. -Notes de 0 à 20.
Coefficients des points. Ecriture 15; calcul, 10; Orthographe, 5; Rédaction, 5.- Dactylographes ou nanties du Brevet supérieur ont 1/10 de point en plus. 
Demandes d'admission sur feuille spéciale délivrée au secrétariat général du C. F., Bureau du personnel.
Traitement.- Stagiaires: 3 francs par journée effective de travail.- Titulaires: de 1.000 à 2.000 francs (maximum). - Retenue de 4% pour pension de retraite.

                                                                                                                             (sera continué)

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1903.

A bas les femmes.

A bas les femmes.

Mon Dimanche a révélé à ses lecteurs quelques-unes des associations bizarres formées par des originaux de tous les mondes et de tous les pays. Il veut présenter, aujourd'hui, en un seul article, les plus "toqués", les plus excentriques... dont les affiliés ont fait le serment de ne jamais prendre femme.
A Oxford, dans un village réputé, l'étudiant qui s'avise de renoncer au célibat doit envoyer à ses camarades une coupe en argent portant cette inscription: Descendit in matrimonium! Ce qui peut se traduire: "Il s'abaisse jusqu'au mariage!"
Le club des Vieux Garçons à Londres a pour but de rendre la vie joyeuse et bonne à ceux qui consentent à être siens. Naturellement, tout déserteur est punit d'une forte amende. Quand le traître, devenu veuf, désire appartenir de nouveau à son ancienne société, il paye une nouvelle rançon de 1.000 francs, mais il n'a plus droit qu'au titre de membre honoraire, ce qui est déshonorant!
Les Junggesellen, en Allemagne, se montrent encore plus farouches ennemis des liens matrimoniaux. Si quelqu'un des leurs se laisse prendre au charme de quelque jolie fille de Saxe, il doit comparaître devant un tribunal pour excuser son inqualifiable conduite. Les juges n'admettent pas l'amour au nombre des circonstances atténuantes. Le délinquant doit se recommander de mobiles plus... pratiques: le désir de ne pas dîner au restaurant ou la nécessité de soigner une faiblesse de constitution imputable aux excès de la vie libre. Selon le nombre et l'importance des excuses présentées aux Junggesellen, le coupable est condamné à une amende qui varie entre 500 et 1000 francs. Cet argent paye les frais d'un dîner auquel est convié le réfractaire. Les membres du club se présentent au banquet en deuil. Puis au dessert, on expulse le faux frère, avec force larmes et malédictions!
Toutes ces associations, à vrai dire, ne sont pas très dangereuses pour la société et ne commettent guère d'autre délit que le tapage nocturne.
Il en fut autrement jadis, en Amérique, au temps où prospérait le fameux club des Women-haters (les haïsseurs de femmes).
Le "Women-haters" se surveillaient entre eux, de façon mystérieuse. Et les jeunes hommes coupables d'avoir observé avec trop de complaisance tel visage féminin, n'étaient pas peu surpris de recevoir des réprimandes en réunion générale.
Aucun, durant vingt années, n'osa prendre femme.
Puis un jeune officier, voulant échapper à la terrible tutelle de ses compagnons, se montra moins assidu au cercle et commit le crime de valser avec quelques jeunes filles du monde militaire. Les "haïsseurs" aussitôt prévenus, firent disparaître deux ou trois Américaines qu'ils soupçonnaient à tour de rôle de vouloir conquérir leur camarade. Enfin, on trouva le traître mort dans sa chambre, attaché sur son li et percé de vingt coups de couteau.




                                                                                                                                   Léon Roux.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1903.