mercredi 7 novembre 2018

L'art d'être coquette.

L'art d'être coquette.

Est-il rien de plus déplaisant sur un joli bras ou une jambe fine et ronde, que des poils (appelons les choses par leur nom) longs, drus et noirs? Que faire contre cette végétation inopportune?
Point de dépilatoire, ô lectrices! Je ne vous donnerai point de recette: les dépilatoires efficaces sont très corrosifs, paraît-il, et peuvent brûler la peau. D'ailleurs les pharmaciens et les parfumeurs en vendent en assez grand nombre pour que vous trouviez, si j'ose m'exprimer ainsi, chaussure à votre pied. Mais tous les docteurs que j'ai interrogés sur ce point m'ont assuré que nombre de dépilatoires aggravent le cas. D'autre part, les poils repoussent souvent après l'application, ils repoussent après dix, quinze jours, faisant sortir de la peau une petite tête dure qui donne à la peau la douceur d'une râpe.
Les poils profitent de tout pour grossir et augmenter de nombre! Telle qui imaginait (renouvelant cette pratique de l'antique) de les arracher méthodiquement ("ça vient comme s'ils étaient plantées dans du beurre", disait-elle), telle qui inventait de les raser, telle autre qui, chaque matin, les usait à ras de peau avec une pierre ponce trempée dans de la mousse de savon et de l'eau oxygénée, se sont vues, dès qu'elles ont cessé, gratifiées de poils là où elle n'avaient naguère que des duvets, -et plus velues que jamais.
Petites lectrices qui vous désolez en songeant au fiancé qui "verra ça", dites-vous que rares sont les femmes qui n'ont pas quelques poils sur les bras et les jambes.
Je reconnais que les poils noirs, très abondants, sont laids.
J'aime assez les poils blonds faisant comme une mousse dorée, accompagnant les bras d'une ombre légère où se joue le soleil. J'ai vu sur les plages des jambes blanches ou roses duvetées d'or, et, je l'avoue, c'était joli, et plus vivant qu'une chair de marbre.
Ce résultat, vous pouvez toutes l'obtenir avec des compresses d'eau oxygénée. Cette bienheureuse eau oxygénée, qui blondit, hélas! tant les cheveux et les rend, d'ailleurs, plus cassants ne doit-elle pas agir aussi sur les duvets importuns?
Avec le "l'eau oxygénée neutralisée" pour éviter les rougeurs, frottez tous les matins, soit avec une petite brosse douce, soit avec un tampon d'ouate, frottez ces poils malencontreux, durant quelques jours, jusqu'à ce que vous ayez obtenu une décoloration suffisante. Ensuite, vous n'aurez plus qu'à les mouiller consciencieusement d'eau oxygénée deux fois par semaine.
Si les poils sont gros, frottez-les pour les amincir, avec un coton trempé dans cette poudre:

Borate de soude, 4 grammes;
Talc pulvérisé, 40 grammes;
Amidon pulvérisé, 30 grammes;
Lycopode, 10 grammes;
Carbonate de magnésie, 16 grammes.

Je sais que des applications de rayons X peuvent détruire sur une assez grande surface les poils ennuyeux. Mais cette opération est scabreuse: une application un peu trop faible, et pas un poil n'est détruit à jamais, une application un peu trop forte, et la peau serait brûlée.
Le seul procédé radical qui ne soit pas dangereux est l'électrolyse. Mais il est, paraît-il, et quoiqu'en disent des médecins, fort douloureux. L'opérateur ne peut "tuer" que plusieurs poils par séance, et s'il n'a pas toujours été adroit, si l'application d'électricité n'a pas été assez forte, quelques-uns repousseront. De plus, une fois anéantis, les poils visibles, les poils qui sont en réserve, se mettent à pousser, les simples duvets se transforment en poils.
N'arrachez jamais les poils de votre menton ou de votre lèvre supérieure. Ils n'en repousseront qu'avec plus de vigueur et de force. Usez sur le menton de compresse d'eau oxygénée, en attendant d'aller chez un dermatologiste.
N'oubliez pas qu'un "soupçon" de moustache ne déplaît pas toujours. Balzac, décrivant Mlle de la Touche, dit:
"Il est nécessaire de dire que le dessous du nez est légèrement estompé par un duvet plein de grâce. La nature aurait fait une faute si elle n'avait jeté là cette suave fumée."
Ne touchez pas aux poils qui, parfois, poussent dans le nez. Mettez de petites compresses d'eau oxygénée pour les blondir, ils paraîtrons moins.
L'eau oxygénée est un présent des dieux!

                                                                                                                               Queen Mab.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 26 octobre 1913.

lundi 5 novembre 2018

Diesel et son moteur à pétrole.

Diesel et son moteur à pétrole.

Une fin tragique et encore mystérieuse survenue au cours d'une traversée d'Anvers à Londres, vient d'interrompre brutalement la carrière d'un grand inventeur, le docteur Rudolph Diesel, de Munich.
Le moteur qui porte son nom et qui est aujourd'hui universellement connu, a fait sortir la machine à pétrole du rôle de petit moteur qui lui était jusqu'alors assigné et lui a ouvert le champ presque illimité des grandes applications industrielles.
- Qu'est-ce donc qu'un moteur Diesel?
Nous ne pouvons mieux faire, pour répondre à cette question sans entrer dans des détails trop techniques, que de reproduire la définition si claire et si précise qu'en a donné notre regretté et brillant collaborateur Max de Nansouty:
"Le moteur Diesel diffère, comme principe, des moteurs à pétrole et à essence. Ce n'est pas un moteur à explosion; c'est un moteur thermique à combustion interne, dans lequel on peut utiliser comme combustible des huiles lourdes dont l'inflammation est assurée sans le secours d'aucun des dispositifs d'allumage employés ordinairement dans les moteurs à pétrole.
Une compression préalable dans le cylindre, de l'air atmosphérique porté à une pression considérable de trente à tente-cinq atmosphères, détermine son échauffement, de sorte que le liquide combustible injecté au milieu  de cet air, à la fin de la compression, s'enflamme au fur et à mesure qu'il prend contact avec lui. Cette combustion progressive détermine dans le cylindre la production de gaz qui, par leur action sur le piston, donnent lieu à une course motrice sans qu'il y ait explosion..."
En résumé, "le principe du moteur Diesel consiste à injecter dans de l'air porté à une pression de trente à trente-cinq atmosphères le combustible liquide qui s'enflamme sans exploser au fur et à mesure de son introduction dans le cylindre."
C'est en 1893 que l'ingénieur Diesel conçut ce nouveau genre de moteur. Après de nombreux tâtonnements et des alternatives de déboires et de succès, il parvint à établir un premier type qui fut construit, en 1897, dans les ateliers d'Augsbourg.
Depuis cette époque, Diesel avait apporté à son moteur des perfectionnements qui en font une machine industrielle de premier ordre.
Son principal avantage est de se prêter économiquement à l'établissement de moteurs de très grande puissance.
Il s'alimente avec des huiles lourdes de pétrole, de schiste, de naphte, dont le prix de revient est faible, et son rendement thermique est excellent.
On construit aujourd'hui des moteurs Diesel à cylindres multiples, de plusieurs milliers de chevaux, de sorte que, parallèlement aux moteurs électriques, le moteur thermique à pétrole est devenu un véritable concurrent de la vapeur.
Après l'industrie, où les moteurs Diesel de 2.000 à 3.000 chevaux sont aujourd'hui chose ordinaire, c'est la marine qui paraît le plus disposée à appliquer ce nouveau mode de propulsion. L'un des premiers navires de fort tonnage, muni d'un moteur Diesel, fut La Selandia de 2.500 HP, construite en Angleterre pour le compte du roi du Siam.
Un autre porte un nom glorieux, Le Fram, auquel Amundsem fit adapter un moteur Diesel pour son dernier voyage au pôle sud.
Un autre encore, Le Hagen, de 8.350 tonneaux, mû par des moteurs Diesel de 2.400 chevaux, vient d'effectuer avec succès, ses essais dans la baie de New-York.
La marine française a prévu, dans son programme de construction, un type de 800 tonneaux avec moteurs Diesel, d'une puissance de 4.800 chevaux, pouvant donner en surface une vitesse de 20 nœuds, conditions identiques, on le voit, à celles des moteurs à vapeur.
De son côté, la Russie met en chantier un sous-marin monstre, véritable croiseur de 5.400 tonnes, qui devra être propulsé en surface par des moteurs Diesel d'une force totale de 18.000 chevaux.
Actuellement 120 navires de tous les pays possèdent des moteurs Diesel d'une puissance totale de 140.000 HP, ce qui représente une consommation de 700 tonnes d'huile lourde par jour, soit près de 260.000 tonnes par an.
Devant cette formidable extension, on ne s'étonnera pas que notre excellent confrère anglais Engineer ait envisagé la possibilité d'appliquer le moteur à pétrole aux plus gros et aux plus rapides des navires transatlantiques. Il a fait à ce sujet un curieux calcul.
En prenant pour base la consommation du moteur Diesel de 2.500 chevaux de La Selandia, qui fut de 11 tonnes et demi d'huile par jour, pendant sa traversée d'Angleterre à Bangkok, il arrive à ce résultat qu'il faudrait à un paquebot du type Mauretania, de la Compagnie Cunard, 313 tonnes de combustible liquide par jour, soit 1.487 tonnes pour effectuer la traversée de l'Atlantique, ce qui prendrait beaucoup moins de place que le combustible actuel et pourrait d'ailleurs, se loger facilement dans l'espace libre de la double coque du navire.
Enfin, au moment même où l'infortuné Diesel disparaissait, sans laisser aucune trace, dans les ténèbres de la mer du Nord, on proclamait le succès de la première application de son moteur thermique à une locomotive.
La locomotive dont il s'agit n'est pas une petite machine destinée à une modeste expérience sur une ligne à faible circulation, c'est une puissante locomotive express des chemins de fer de l'Etat prussien, qui va être mise en service pour la remorque des trains rapides de la ligne de Berlin à Magdebourg.


La première locomotive Diesel.
On aperçoit, au centre, le moteur principal; à gauche, le moteur auxiliaire,
et, à droite, les réservoirs d'air comprimé.

Ici encore, concurremment avec les locomotives électriques dont elle a l'aspect extérieur, la machine à pétrole va entrer en compétition avec la locomotive à vapeur.
Celle-ci n'a, du reste, pas dit son dernier mot; grâce au fonctionnement compound, à la surchauffe de la vapeur et à divers autres perfectionnements, elle est, aujourd'hui, plus en forme que jamais. L'entrée en lice de la machine à pétrole ne peut qu'exciter davantage l'émulation des ingénieurs et il n'est pas impossible qu'on voie, un jour prochain, sur le même réseau, les trois modes de propulsion: vapeur, pétrole, électricité, concourir aux multiples exigences des services de l'exploitation.
La locomotive Diesel de Berlin-Magdebourg a été construite en Suisse, dans les ateliers Sulzer, de Winterthur. Elle a 10 mètres 60 de longueur et pèse 95 tonnes en ordre de marche. Elle possède un moteur Diesel réversible en forme de V, et actionnant par l'intermédiaires de bielles, les deux essieux moteurs de la machine. Le moteur est établi pour tourner à 30 tours à la minute, ce qui correspond à la vitesse de 100 kilomètres à l'heure. En outre, une machine auxiliaire sert à faire fonctionner la pompe à air comprimé et à donner le "coup de collier" nécessaire aux démarrages et à la montée des fortes rampes.
L'oeuvre poursuivie par le docteur Diesel se trouve ainsi complétée: désormais, le moteur thermique à pétrole a droit de cité dans les trois grandes branches de l'activité industrielle: les machines fixes, la navigation et les chemins de fer.

                                                                                                                               Salagnac.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 26 octobre 1913.