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dimanche 26 août 2018

Chronique du 3 octobre 1858.

Chronique du 3 octobre 1858.


Tout le monde ne connait pas cet étrange commerce établi à Paris, qui consiste à vendre à ceux qui le désirent des décorations, des titres de noblesses, auxquels on joint même des ancêtres, lesquels consistent en quelques vieilles têtes bien ou mal peintes, et qui passent pour des portraits de famille.
On voit que dans notre siècle, prétendu si positif, il est encore des gens disposés à dépenser beaucoup d'argent pour une chose dont le seul charme est dans l'imagination.
Un sieur R..., enrichi à la bourse, pensa que, pour être un homme tout à fait considérable, il lui manquait une décoration quelconque.
Des intermédiaires informés de ce désir abouchèrent M. R... avec un nommé L..., prenant le titre de comte. Celui-ci avait été prévenu de la visite de R..., il s'offrit à lui tout chamarré de rubans, tout étincelant de décorations, et il l'accueillit avec une dignité pleine de courtoisie. Ensuite il assura à celui qui mettait en lui sa confiance que, grâce à ses hautes relations, il pourrait lui faire conférer l'ordre des Quatre Empereurs d'Allemagne.
R... sortit enchanté et revint peu après visiter son protecteur. Il reçut alors en échange de deux mille francs, un diplôme parfaitement en règle, qui lui permettait de parer sa poitrine d'un magnifique ruban.
Ayant hâte d'entrer en jouissance, R... alla demander à la chancellerie l'autorisation de porter les insignes de l'ordre des Quatre Empereurs d'Allemagne. Là il apprit, avec un désappointement extrême, que cet ordre n'existait plus depuis longtemps.
Dans sa juste colère, il porta plainte, et cette affaire fit découvrir l'immense trafic exercé à Paris et dans toutes les capitales d'Europe pour procurer des titres et des croix à des gens qui, pour le plus grand nombre, sont trompés dans leur ambition, comme le pauvre M. R...

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Dans une de ces dernières nuits, douze forçats de Toulon, trouvant le vent favorable, ont gagné le large! Ils ont commencé par désarmer et garrotter la sentinelle qui gênait leur fuite; puis, voyant dans le port, un bateau à leur convenance, ils s'en sont emparés, tandis que le patron se sauvait à la nage, et, maîtres de leur bâtiment, les forçats ont commencé à naviguer à toute rame.
Mais l'autorité, avertie, a envoyé à sa poursuite douze gardes-chiourmes, bien armés et montés sur le vapeur le Vigilant, puis le grand canot du bâtiment stationnaire, équipé de vigoureux matelots, et enfin les brigades de gendarmerie gardant les côtes.
Cette chasse aux forçats, en pleine mer, était d'un effet pittoresque et terrible.
Après quelque temps de poursuite, la force armée a atteint l'embarcation fugitive; six forçats sont tombés aux mains des matelots; puis les gendarmes en ont arrêtés cinq autres sur le bord; un seul des galériens a pu se soustraire à la chaîne qui ramenait tous les autres au bagne.
Voici un forçat qui, à lui seul, a plus de génie et de bonheur que les onze autres.

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Le nommé C..., après avoir subi sa peine au bagne, était retombé dans tous ses anciens péchés, et se voyait de nouveau détenu dans la prison de Lons-le-Saulnier. Cet individu, charpentier de profession, après avoir eu le soin de se faire une corde avec les draps de son lit, perça le plafond de sa cellule, au-dessus duquel se trouvait une lucarne donnant sur un toit.
Il grimpa d'abord au plafond avec sa corde fixée à un crampon, gagna la lucarne, puis le toit. De là il passa sur plusieurs autres toitures, séparées les unes des autres de plus d'un mètre, afin d'arriver au mur extérieur, dans un endroit placé à distance de la sentinelle. Ayant ainsi gagné le point qu'il cherchait, il fit de nouveau usage de sa corde pour se laisser glisser jusqu'à terre, et de là prit hardiment la clef des champs.
La gendarmerie est encore à la recherche de ce malfaiteur, l'un des plus dangereux qu'on connaisse.

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Il s'est présenté un cas d'hydrophobie des plus déplorables. Le nommé Chéri Roche, jeune homme de vingt ans, fut mordu par un petit chien, dont la mère, sans qu'on le sût, était enragée. Cela suffit pour lui communiquer le venin; au bout de vingt-quatre heures, il se sentit atteint de cruelles souffrances qui lui révélèrent le mal dont il était atteint.
Le troisième jour, la rage était à son comble; il brisait tout ce qui était sous sa main, en jetant des hurlements furieux.
Ce malheureux, dans ses moments de calme, avait d'étranges hallucinations: il croyait voir le ciel ouvert et Dieu qui l'attendait dans sa divine demeure. Au bout de trois jours, il acheva de  se tuer lui-même en se brisant la tête contre les murs.

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Atteint d'une rage bien plus douce, le nommé Bertrand s'est présenté dernièrement dans une maison d'arrêt en demandant avec instance qu'on l'y retint sous les verrous. Il sentait, disait-il, que si on le laissait libre, il ne pourrait s'empêcher d'embrasser les dames qu'il rencontrerait dans la rue. Bertrand était un homme riche et haut placé, mais il était atteint de cette monomanie. Fort sensé, pour tout le reste, il est des instants où il ne peut dominer en lui cette folie d'embrasser les dames. Craignant le scandale, pénible pour lui, qu'il ne manquerait pas de causer, il a pris le parti de se réfugier dans les bras de la justice.

                                                                                                                                  Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 3 octobre 1858.

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