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vendredi 13 juillet 2018

Le déjeuner.

Le déjeuner.

Aux Tuileries.

Entre les thyrses et les feuilles des marronniers, le ciel semble un dais de vieille soie, s'élargit profond, lointain, limpide, strié comme des floches de duvet. Des gouttes d'or fluide parsèment les allées.
Dans l'air léger, des pépiements aigus, des roucoulis, des rires puérils, des voix fraîches se mêlent à la sourde et grave rumeur de la Ville, aux hoquets stridents des sirènes, aux vibrations des cloches qui annoncent le passage des remorqueurs et des bateaux-mouches.
Les midinettes, éparpillées sur chaque banc, achevèrent de déjeuner, les cheveux au vent, le regard en éveil, tout heureuses de ne plus être en cage, de paresser un instant, d'avoir pour salle à manger, au lieu de l'arrière-boutique étroite mal éclairée, empuantie de quelque crèmerie, ce vaste et beau jardin en fleurs.
Devant le parterre à la française que domine la statue d'Atalante*, trois d'entre elles, des apprenties de quinze ans, de ces gosselines que l'on surnomme, à l'atelier, des lapins de couloir, mettent les bouchées doubles, en une hâte d'aller courir et jouer.
Elles se ressemblent. Elles ont l'air de poupées qui seraient sorties de la même fabrique. Elles sont coiffées de la même manière avec une frange sur le front et une natte nouée d'un ruban dans le dos. Leurs joues et leurs lèvres sont d'une roseur de fruit. Chacune a entre les pieds une bouteille et un corbillon d'osier verni.
La plus petite, une châtaine déjà presque jolie, amusée, s'oubliant soi-même, de la main gauche tend un morceau de sucre à un de ces pauvres chiens crottés, faméliques, qui n'ont ni race, ni gite, ni maître, qui rodent à l'aventure par les rues et sur les quais, et de l'autre émiette les restes de son pain à d'effrontés moineaux. Et les prunelles, tendres, humides, veloutées du chien, les mirettes bougeuses, brillantes, telles que des têtes d'épingle noire des friquets, les yeux clairs, lumineux, hardis de cette gamine de faubourg ont quelque chose de fraternel... *

                                                                                                                                René Maizeroy.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 août 1905.


* Nota de célestin Mira:


Rue de la Paix: sortie des midinettes des maisons de couture.


Groupe de midinettes en 1900.


Steinlen, pastel et crayon de couleur: les midinettes et le vieillard, 1900.

*  

Statue d'Atalante, Tuileries.

* L'atelier de couture.


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