Translate

mardi 3 avril 2018

Les griffes du fisc.

Les griffes du fisc.

Je suis abasourdi de ce que je lis dans les feuilles. Il n'y a pas de jour où l'on ne prête au ministre des finances l'intention de créer un impôt nouveau et d'augmenter les charges, déjà si lourdes, qui pèsent sur l'infortuné contribuable.
D'abord, il fut question de taxer le séjour des étrangers à Paris. Chaque chambre occupée par un Anglais, un Allemand un Bolivien, un indigène quelconque, eût été passible d'une redevance... Naturellement, l'hôtelier en eût porté le montant sur sa note. En pareil cas, c'est toujours le client qui paye... Cela aurait donné à nos visiteurs une fière idée de l'hospitalité française, qu'il eût été impossible, désormais, de confondre avec l'écossaise!... Ce projet souleva de telles clameurs que l'on dut y renoncer. Alors, un ingénieux collaborateur de M. Caillaux s'avisa de frapper d'un timbre les prospectus qui sont portés à domicile ou distribués au coin des rues. Tout le commerce poussa les hauts cris. Il fallut se retourner d'un autre côté... On agita le projet de taxer les pianos, les machines à coudre. Fi donc! diminuer le gain des malheureux professeurs, des pauvres petites ouvrières!... Ce projet tomba dans l'eau...
Le dernier expédient dont on se soit avisé consiste à imposer les chats... Pourquoi ces intéressants animaux jouiraient-ils de plus d'immunités que leurs frères les chiens, qui font entrer chaque année six millions dans les caisses de l'Etat? Nous en sommes là... Mais, déjà, gronde un formidable orage; des poings hostiles se tendent vers le ministre, des voix irritées l'interpellent. Les demoiselles mûres, les vieux garçons, les servantes de curés, qui chérissent leurs minets ronronnant au coin du feu, ne peuvent s'accoutumer à l'idée que ces amis, compagnons discrets de leur solitude, seront frappés par le fisc... Ils s'insurgent... L'impôt sur les chats ne sera pas voté...
Dans cette voie, on peut aller plus loin. Tout est imposable: les plaisirs du corps et les plaisirs de l'esprit; les véhicules et les billets de spectacle, les objets de luxe et les objets de première nécessité, les chronomètres et les réveille-matin, les diamants et les boutons de culotte, le réticule en or de l'actrice et le panier de la cuisinière, les décors du théâtre et les légumes du potager: tout, jusqu'à la barbe des hommes, jusqu'au sourire des femmes. Vous verrez, plus loin, une page comique de Caran d'Ache qui raille spirituellement l'idée d'un impôt sur le flirt, éclose, assure-t-il, dans la cervelle d'un député américain.
Mon Dieu! Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Pour ridicules que soient ces impôts, ils ne le sont guère plus que la plupart de ceux de nos aïeux, à diverses époques de l'Histoire, ont souffert. Les rois de l'ancienne France étaient extrêmement inventifs, quand il s'agissait de vider les poches de leurs sujets... Un savant statisticien m'énumérait, tout à l'heure, quelque-unes des charges extraordinaires qui, depuis la Renaissance jusqu'à la Révolution, faisaient gémir la noblesse, la bourgeoisie et le peuple.
Les objets les plus inattendus furent imposés: en 1552, les clochers; en 1582, les draps de lit à un sol la paire; en 1652, les portes cochères (de 15 à 70 livres, selon leurs tailles); en 1680, le papier; en 1681, les chapeaux; en 1705, les voitures publiques; en 1708, les perruques; en 1772, les livres imprimés. Cette taxe faillit ruiner la librairie.
- Eh quoi! s'écria Voltaire, on craint l'exportation du blé et l'importation des idées!
L'impôt sur le revenu, qui nous effraye, est pourtant une antique connaissance. Son début date de 1147, alors que Louis VII, retour de la deuxième croisade et à court d'argent, "soulagea" tous les Français, sans exception du vingtième de leurs revenus. En 1188, Philippe-Auguste leur demanda le dixième; ce fut la célèbre dîme saladine. En 1302, Philippe le Bel les taxa d'un cinquantième. En 1355, le roi Jean organisa un impôt fort proportionnel: 10 sols quand on avait au moins 10 livres de revenu, 20 sols, si on en avait de 10 à 40, 4 livres quand on avait 100 livres de revenus, etc. Les "laboureurs, serviteurs et autres gaignants" ne payaient que 10 sols. En 1725, on vit aussi un impôt d'un cinquantième sur tous les revenus pendant dix ans. L'hostilité fut générale, mais, à plusieurs reprises, après des dépenses de guerre, l'impôt détesté reparut.
J'arrête cette aride énumération. Les chiffres sont ennuyeux. Mais ils sont instructifs. Ils enseignent la philosophie. Je repousse, comme vous, l'impôt sur les chats, sur les pianos et sur les chambres d'hôtel... Toutefois, cousins, n'ayons pas d'illusions... nous n'échapperons point au sort inéluctable qui nous attend. Nous serons mangés... Notre seule consolation sera de savoir à quelle sauce!...

                                                                                                      Le Bonhomme Chrysale.




L'impôt sur le flirt.


Un vertueux député des Etats-Unis se propose de couper dans la racine ce mal qui, d'après lui, partout répand la fureur: le flirt, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Or, interviewé, le rabat-joie législateur prétend que les racines du flirt sont constituées par le regard, partant l’œil, la narine et le sourire. Donc, frappons-les d'impôts vigilants. Ainsi:

Première catégorie.



Un regard limpide ne paie rien, comme de juste, car il est inoffensif.




Un regard voilé, 15 centimes.





Un regard interrogateur, 25 centimes.





Un regard furtif, 20 centimes.



Un regard scrutateur, 50 centimes.





Un regard boudeur, 55 centimes.



Deuxième catégorie. - L’œil et la narine combinés constituent un langage.






Attention!
75 centimes.




Est-il là?
45 centimes.





Je vous ai vu.
1 franc.





Je suis bien heureuse.
1 fr. 50.




Ah! si nous étions seuls!
2 fr. 50.




Vous me le paierez cher!
5 francs.



Troisième catégorie.- L’œil, la narine et le sourire réunissent, par leur combinaison, un langage déclaré de danger public.





Osez donc!
5 francs.





Vous déciderez-vous?
5 fr. 25.




Eh bien, j'attends!
5 fr. 50.





Je vous déteste.
5 fr. 75.





Grand méchant!
5 fr. 95.





Je voudrais mourir!
10 francs.






- Tâche bien lourde, monsieur, mais je suis aidé dans ma besogne par mesdemoiselles mes nièces, me dit le député en me reconduisant.

Alors je compris....






Oh! oh! ce sont ses inspiratrices...


   
                                     Dessins de Caran d'Ache.

Les Annales politiques et littéraires, dimanche 8 novembre 1908.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire