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dimanche 15 avril 2018

Les cambrioleurs anglais.

Les cambrioleurs anglais.


Les pick-pockets de Londres surpassent de dix coudées nos tire-laine parisiens. Ils possèdent l'audace, le calme et la science des grands chirurgiens. Ces gentlemen tiennent aussi à se différencier de nos nationaux en l'art de pénétrer dans la maison des autres.
En règle générale, l'Anglais n'aime pas forcer les portes. Se charger de tout un attirail de rossignols, pince-monseigneur et "cadets" lui répugne. Par contre l'escalade lui permet de faire montre de sa valeur athlétique. Il monte donc, le plus souvent, à l'assaut du bien d'autrui. En tous les cas, il joue du muscle. C'est un clown... qui ne fait pas rire les propriétaires.
Depuis longtemps, et ils se montrent, en l'espèce, supérieurs à nous, les Anglais savent que l'on ne devient habile cambrioleur qu'en se vouant à une spécialité. Les uns s'attaquent aux fenêtres, d'autres aux impostes, d'autres encore aux verrous, etc... Et tous deviennent très forts.

L'échelle humaine.

Étudions d'abord les escaladeurs de fenêtres. En Angleterre, ainsi qu'en d'autres pays, d'ailleurs, les châssis des fenêtres ne s'ouvrent pas comme une porte à deux battants, mais se lèvent en glissant dans des rainures. Un simple loquet ou une targette maintient les fenêtres abaissées, surtout lorsqu'elles sont situées à une assez grande distance du sol. Les voleurs qui savent leur métier s'attaquent donc de préférence aux fenêtres un peu élevées. Et ils opèrent par groupe de trois, ainsi que le montre la figure ci-dessous (fig. 1)



Fig 1. L'échelle humaine. Comment on escalade une fenêtre.

Le plus grand, le plus robuste appuie ses mains contre le mur. Sur ses épaules se hisse un deuxième compère qui, lui aussi,  prend un point d'appui sur la muraille. Le troisième enfin grimpe le long des deux hommes superposés. C'est le plus souvent un enfant. Il a pour mission, au diamant aidant, de couper la vitre pour soulever le loquet maintenant le châssis. Après quoi, il pénètre dans la maison et va ouvrir la porte à ses camarades demeurés sur le pavé du roi.
En somme, les cambrioleurs se servent d'un tour de cirque un peu ingénu. Ils font l'"échelle humaine". Mais avec quelle rapidité et quel brio! Pas de bousculade, pas de tâtonnements, les hommes se superposent comme les différentes parties d'un télescope. Inutile de dire que ce procédé n'est guère mis en usage que pour piller les maisons de campagnes et les fermes isolées.
Quand ils sont dans la place, et ils opèrent généralement à l'heure du dîner, c'est à dire quand maîtres et valets entourent la table de famille, les cambrioleurs s'efforcent surtout de perquisitionner dans les pièces du premier étage. Or ils n'aiment pas brutaliser les meubles. Les confesser à loisir leur semble plus fructueux, plus prudent aussi. Pour travailler en toute quiétude, ils ouvrent la fenêtre, moyen de retraite assuré, et mettent les habitants du logis dans l'impossibilité d'ouvrir la porte du dehors au dedans. Pour ce faire, ils glissent sous la "lourde" un morceau de bois façonné ainsi que le montre notre gravure n° 2. 



Fig 2. Le verrou des cambrioleurs, pour empêcher
d'ouvrir les portes en dehors.

(Un poinçon fixe dans le parquet cet ingénieux et primitif verrou.) Ou bien ils piquent entre le bas de la porte et les lames du parquet une cheville en fer aiguisée des deux bouts (fig. 2A). Et ils sont chez eux.

Encore des grimpeurs.

Les plantes grimpantes (le lierre surtout) sont propices aux voleurs. Elles forment le long des murailles des échelons naturels que le cambrioleur franchit avec aisance. Il a soin de s'attacher au-dessous des genoux des crampons fort courts tels que le montrent nos figures 3 et 4.


Fig 3 et 4. L'escalade par le lierre.
Le crochet d'escalade fixé à la jambe.

Mais présentons à nos lecteurs de nouveaux spécialistes. Sachant trop que les portes se défendent parfois avec succès contre les entreprises des "amis de la lune", certains cambrioleurs s'attaquent aux impostes. Ils prennent deux planches et les scient de la longueur voulue pour former un échafaudage rudimentaire semblable à celui que représente notre gravure n° 5. 



Fig 5. Le briseur d'impostes sur son échafaudage.

Au milieu de la nuit, ils disposent leur appareil et l'un d'eux, couché sur le dos, travaille à soulever le vitrage aménagé au-dessus de la porte. Après quoi, la maison est prise. Le forceur d'imposte ouvre l'huis à ses compagnons.


Le coup de la patère.

Quand la maison dont ils convoitent les richesses résiste à tous les assauts, à tous les outils perforants, c'est encore par l'acrobatie que mes confrères anglais triomphent de l'obstacle; C'est de l'art et du meilleur!
Ils profitent de quelque grand dîner offert par le maître de logis pour envoyer dans la forteresse un des leurs vêtu en domestique de bonne maison. Ce dernier se présente porteur d'une lettre à laquelle on doit répondre. Pendant que le valet de pied, après avoir ouvert la porte, va remettre la missive à son maître, le faux domestique introduit dans l'antichambre un gamin tenant sous son bras un manteau fort long et très large.
Le cambrioleur saisit l'enfant sous les aisselles, l'élève à hauteur d'une patère, lui ordonne de se tenir accroché à cet ornement d'antichambre, puis dispose sur lui d'une façon artistique le manteau apporté. Voyez la gravure n° 6! 


Fig 6. Le jeune élève-cambrioleur, suspendu à une patère,
attend le moment d'ouvrir la porte.

Suspendue par les poignets, la brave petite canaille doit attendre le moment propice pour ouvrir la porte à toute la bande.
Imaginez l'inquiétude du gamin, ses efforts pour demeurer immobile sous le vêtement et aussi tout le travail de son petit cerveau pour choisir l'instant favorable à l'action. Il lui arrive de rester ainsi, cloué à sa patère, durant plusieurs minutes. C'est un véritable héros qui fait mauvais usage, si l'on en croit la morale sociale, de ses facultés. Quel homme!
Il faut dire aussi quelle patère!. En France nos accroche-manteau n'offriraient pas assez de résistance pour supporter le poids d'un gosse de dix ans!
J'avoue, toutefois, réprouver ce coup génial des cambrioleurs anglais. Ils laissent la mission le plus difficile à un pauvre petit garçonnet qui ne jouit pas toujours de son libre arbitre!

Dénoncés par l'électricité.

Autre truc de mes confrères londoniens! Certaines maisons, en Angleterre aussi bien qu'en France, sont ornées d'échelles en fer, dites de sauvetage, fixées dans la maçonnerie, extérieurement, le long des murs. Mais, par crainte des voleurs, le moins élevé de leurs échelons se trouve placé à trois ou quatre mètres du sol.
Pour atteindre ce premier degré, les cambrioleurs lancent des crampons en fer auxquels se trouvent fixés une échelle de corde, ainsi que le montre notre figure 8. 


Fig 8. Les crochets qui servent à atteindre l'échelle de fer.

Malheureusement pour eux, les échelles de fer se placent le plus souvent sous la garde de la grande fée moderne, l'Electricité. Dès qu'un homme met le pied sur l'un des échelons, la maison menacée s'éveille au tintement d'une dizaine de carillons. Les fenêtres s'ouvrent avec fracas. On crie: Au voleur! Et les grimpeurs se laissent choir sur le sol, en endommageant parfois leur individu. Au diable le progrès!


Pour ne pas être reconnu, ils portent un petit masque en toile noire.


Mon dimanche, revue populaire illustrée, 17 mai 1903.




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