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samedi 28 avril 2018

Ceux de qui on parle.

M. Gérome.


M. Gérome aura quatre-vingt ans au mois de mai prochain, mais voilà déjà longtemps qu'il ne vieillit plus. Il fournit régulièrement huit heures de travail par jour, et, sa tâche faite, se permet des distractions. 





Il ne manquerait pas une fois d'assister, déguisé, au bal des Quat'z'arts, où sa verve blagueuse s'exerce avec entrain*.
M. Gérome a vu beaucoup de pays. Il fit son premier voyage à seize ans, pour venir à Paris, non sans avoir eu de la peine à vaincre la résistance de son père, orfèvre. Il vint habiter rue de l'Ancienne-Comédie, en face de l'ancien café Procope, et dut mener une vie très frugale, dont le souvenir lui fait dire souvent que l'on valait mieux alors qu'aujourd'hui. Je crois cependant que les marchands de frites sont encore visités par nos jeunes artistes. Si la parole de M. Gérome est juste, ce ne peut être que pour lui-même.
En 1844, il accompagne Paul Delaroche, son maître, en Italie. Neuf ans après, il visita la Turquie, puis l'Egypte et la Palestine. Il ne parle pas de ce pays sans rappeler qu'il y fut surpris par une pluie torrentielle et que l'eau rentrait dans ses bottes par le col de sa chemise. Il a fatigué bien des fois M. Dagnan-Bouveret, qui l'accompagna dans plusieurs voyages. M. Frémiet, moins robuste, ne l'a suivi que jusqu'au Jardin des Plantes.
M. Gérome a pris en haine trois sortes de personnes: les critiques d'art, les impressionnistes et les femmes peintres (je souligne le mot peintres, car il est bien entendu que ce sentiment ne s'applique pas à toutes les femmes). C'est un réactionnaire convaincu, et pourtant il a été, lui aussi, un novateur, au temps où il se rencontrait, rue de Fleurus, dans un cénacle appelé la Boîte à thé, avec de jeunes artistes qui travaillaient comme lui, à renouveler l'art grec et à créer l'Ecole néo-grecque. Mais cette école prétendait s'appuyer sur des documents archéologiques, tandis que les impressionnistes déclarent rendre uniquement ce qu'ils voient. Aussi M. Gérome traite-t-il volontiers l'impressionnisme de c...ie.
Il n'est guère plus aimable à l'égard de la République, étant resté bonapartiste, ce qui ne l'a pas empêché d'accepter la cravate de commandeur de la Légion d'honneur en 1978 et, lors de l'Exposition de 1900, la croix de grand officier, tout en déclarant que cette récompense était due à son talent et qu'il n'avait aucune reconnaissance pour la République.
Les œuvres de M. Gérome sont de natures bien diverses*. Son talent s'est exercé sur la peinture comme sur la sculpture; il aime surtout la sculpture peinte*. Il a travaillé le marbre, le bronze et jusqu'à l'or et l'ivoire. En peinture, de nombreux sujets orientaux, et notamment beaucoup de lions et de tigres, lui ont été inspirés par ses voyages. Il ne s'en est pas tenu là et a traité des scènes antiques, telles que le Siècle d'Auguste et la Naissance de Jésus-Christ, et des scènes religieuses. L'église Saint-Séverin a été décorée par lui. Mais quoi qu'il fasse, il reste pour le public le peintre des animaux féroces: c'est une destinée à laquelle il n'a pu se soustraire. Comme M. Bouguereau est le peintre des amours et M. Henner celui des Madeleines, M. Gérome est le peintre des tigres. Il a voulu faire des bacchantes et des vierges: peine perdue. Il n'a que ses tigres qui plaisent. M. Gérome se résigne donc à faire des tigres, pour vivre.

                                                                                                                                      Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er novembre 1903.

* Nota de Célestin Mira:





Affiche de Ricardo Florès pour le bal des Quat'z'arts de 1901.





Pygmalion et Galatea par Jean-Leon Gérome.



Phryné devant l'Aéropage, par Jean-Léon Gérome.


Jean-Léon Gérome, sculptant.



Corinthe par Jean-Léon Gérome.


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