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samedi 3 décembre 2016

Bourbon-l'Archambault.

Bourbon-l'Archambault.
      La Quiquengrogne.



Bourbon-l'Archambault est du petit nombre des villes du Bourbonnais dont on peut faire remonter l'existence au temps des Romains; on ne peut douter qu'elle ne soit l'Aquœ Bormonis que l'on trouve sur les tables romaines. L'histoire ne dit rien de cette ville avant le VIIIe siècle; Pépin l'assiégea et la prit en 759. C'était alors une place du Berry, et le Berry faisait partie de l'Aquitaine.
On croit que Pépin donna cette place et son territoire à un de ses parents qui les transmit à sa postérité; ces seigneurs sont restés obscurs et sans doute peu puissants pendant le IXe siècle. Dès le Xe, on trouve des preuves qui constatent leur existence, on voit leur puissance s'accroître et jeter de l'éclat sur un nom qui devait retentir dans le monde.
Du reste, Bourbon a peu profité d'être l'origine d'un si grand nom, et sans ses eaux minérales, cette ville serait totalement inconnue. A peine ses premiers seigneurs ont-ils accru leur territoire, qu'ils commencent à négliger leur capitale; ils y ont un immense château, ils l'habitent quelquefois et l'on voit cependant que ce n'est pas là le siège de leur gouvernement: il était à Souvigni sous les Archambault, puis à Moulins, et Bourbon ne resta qu'une châtellenie et un bourg, car c'est ainsi qu'il est désigné encore dans le XVIe siècle:
"Bourbon-L'Archambault, écrit un vieil historien, nommé d'un Archambault, baron et seigneur de Bourbon, à la différence de Bourbon-Lancy, qui est en Bourgogne, est un grand bourg, à fond de vallée, entre deux montagnes, l'une à l'orient, l'autre à l'occident, en pays pierreux et pénible; ledit bourg est mal plaisant et assez mal bâti."
De nos jours, Bourbon-l'Archambault n'est pas beaucoup plus considérable, mais il est mieux bâti; ses faubourgs sont situés sur trois collines d'où ils prennent leurs noms de faubourgs de la Sainte-Chapelle, de Villefranche et de la Paroisse. Les coteaux qui l'environnent sont formés de granit. La vallée développe un riant tapis de verdure sur un terrain profond, dont la fertilité s'accroît du dépôt onctueux qu'y laisse la petite rivière de Bruges. Dans un rayon de plusieurs lieues de circonférence, règnent les forêts royales de Grosbois, de Civrais, de Bagnolet et de Tronçais; ces forêts renferment des arbres magnifiques. En général, le pays offre à la vue des prairies, des bouquets de bois, des terres bien cultivées, et l'on y retrouve l'aspect de l'Anjou et du Bocage.
Bourbon-l'Archambault possédait deux choses qui appelaient l'attention: ses eaux minérales, que les révolutions n'ont pas pu lui enlever, et son immense château qui n'a pas résisté à ces révolutions, et dont il ne reste que des ruines. Ce château, d'une antique origine, était situé sur des rochers, entourés de trois côtés par des précipices creusés par la rivière de Bruges, qui forme là un étang, remarquable par la beauté de ses eaux et la construction de sa chaussée. Cette situation était formidable, à une époque surtout où l'artillerie était inconnue; aussi jusqu'à Pépin, ce n'était probablement qu'une forteresse. On doit croire que le premier Archambault y bâtit un château habitable, auquel il donna son nom; mais les constructions qui existaient en leur entier dans le XVIe siècle, et dont on voyait encore des restes assez considérables avant la révolution de 1789, étaient dues à Archambault IX, aux ducs Louis Ier et Louis II et Anne de France, sa femme.
En arrivant à Bourbon-l'Archambault par la route de Moulins, on aperçoit sur une hauteur les débris de ce château. Vingt-quatre grosses tours en défendaient l'enceinte, trois seulement, assez bien conservées, sont tout ce qui reste debout. L'une d'elles, énorme, et qui occupe l'angle méridional de cette masse confuse de constructions  de toutes les époques, est assise sur des rochers hérissés; elle domine la ville aux toits entassés et noirs. C'est la Quiquengrogne! Quand le duc Louis Ier fit creuser ses larges fondements, les bourgeois méfiants et jaloux se révoltèrent, car la tour battait la ville; incontinent, le duc braqua ses couleuvrines sur le rempart et s'écria: "On la bâtira qui qu'en grogne." Tant que les ouvriers travaillèrent, les vieux routiers se tinrent là la mèche allumée; les bourgeois cédèrent, et la colère de leur seigneur baptisa la nouvelle tour: Qui qu'en grogne, tel est mon plaisir,  fut la devise des premiers sires et ducs de Bourbon.




C'était un vaillant homme d'armes que ce Louis Ier, duc de Bourbon; mais il était grand dépensier, amateur fol des carrousels, joutes et tournois, et de grandes sommes de deniers suffisaient à peine à ses plaisirs; il pressurait ses pauvres vassaux, et c'était chose nécessaire qu'une bonne tour crénelée pour les empêcher de grogner. En récompense que le duc Louis avait rendus à la royauté, Philippe le Bel lui donna l'importante place de chambrier de France, l'une des quatre premières de la couronne, et qui depuis lui fut héréditaire dans la maison de Bourbon, jusqu'à la défection du connétable sous François 1er; eh bien les revenus de cette charge étaient lestement dépensés, tellement que sa mère fut obligée, pour payer ses dettes, d'engager plusieurs châtellenies du Bourbonnais: Montluçon, Chantelles et Verneuil.
Au milieu de l'esprit chevaleresque et religieux qui enfantait alors les croisades, le duc Louis ne perdit jamais de vue le Bourbonnais, la plus importante partie de ses propriétés; en 1315 il jeta les fondements du chapitre de Bourbon. La vie de ce prince n'est pas sans éclat; sous Philippe le Long, il fut admis dans les conseils, employé dans les négociations les plus importantes, et il y acquit une grande réputation d'habilité et de sagesse, qu'il augmenta encore, lorsque, seul des princes de sang, il défendit la loi salique, et montra dans cette occasion un jugement sain et ferme que l'exemple ne pouvait ébranler.
Le duc de Bourgogne, les comtes de Valois et de la Marche, voulaient exclure du trône Philippe le Long, qui triompha de cette ligue, aidé des conseils et de l'influence du duc de Bourbon. Le Bourbonnais acquit bientôt une nouvelle importance, lorsque, de simple baronnie qu'il était, il fut érigé en duché-pairie; dans ses lettres d'institution, Charles le Bel relève avec emphase, non-seulement les grandes qualités et les services du duc Louis, mais l'étendue et les richesses du Bourbonnais, et l'avantage de posséder l'imprenable château de Bourbon.
La Quiquengrogne sert aujourd'hui de prison et d'horloge à la petite ville de Bourbon-l'Archambault. En montant l'escalier de la tour du levant, dite l'Admirale, on découvre sur le mur un curieux croquis, dessiné à l'ocre jaune et rouge. Un homme d'armes au pourpoint et aux chausses mi-parties, chaperon en tête et hallebarde au poing, présente une fleur à une jeune fille, dont les cheveux pendants, le long corsage, les manches serrées et la cornette relevée appartiennent au XIVe siècle. Ce caprice d'une sentinelle désœuvrée, de quelque pauvre prisonnier rêvant de sa belle peut-être, ne manque ni d'habilité, ni surtout de la physionomie vraie de l'époque. Au-dessus de cette légère esquisse, on distingue un écusson bien conservé, avec les trois fleurs de lis  et le lambel de la maison de Bourbon; ce ne sont point des fleurs de lis arrondies comme celles des Bourbons depuis Louis XIV, mais des fleurs de lis élancées et pointues comme le fer de lance de saint Louis. Une tradition rapporte que le jour de l'assassinat de Henri III, la foudre emportant sur les vitraux de la Sainte-Chapelle de Bourbon le lambel de la branche cadette, en fit un écusson pour la France.
Cette Sainte-Chapelle de Bourbon-l'Archambault, commencée par Jean II, continuée par Pierre II, et achevée seulement en 1508, rivale de celle de Paris, réunissait dans sa construction tous les merveilleux caprices de l'art du XVe siècle, à la perfection d'exécution de l'époque de la renaissance. Ses riches vitraux, ses boiseries délicates, ses dentelles de pierre, ses châsses d'or incrustées de joyaux, ses statues d'argent massif, tout a disparu; on ne distingue plus que des terrains fouillés, des pans de murs croulants et des pierres éparses.
La Sainte-Chapelle de Bourbon possédait un grand nombre de sculptures, rares par leur travail. On y remarquait Jésus-Christ et ses douze apôtres, la généalogie de la maison des Bourbons exécutée en bas-reliefs et tout le luxe d'ornements d'une architecture variée et féconde. Au-dessus du portail étaient placés Adam et Eve, groupe en pierre d'Apremont, et une figure de saint Louis en terre cuite. Deux statues équestres de marbre blanc ornaient le péristyle; Pierre II était représenté une main gantée, posée sur la poignée de sa dague au fourreau fleurdelisé; l'artiste minutieux avait mis à l'index de son autre main nue, une bague si délicatement ouvragée, que son chaton offrait presque la finesse d'un camée antique. Sa femme, Anne de France, fille du roi Louis XI, tenait un faucon au poing, et caressait la crinière flottante de sa haquenée. 
De tant de merveilles, il ne reste aujourd'hui qu'un tas de décombres. C'était aussi dans la Sainte-Chapelle qu'avait été déposé le morceau de la vraie croix donné par saint Louis à son fils Robert; Louis 1er, duc de Bourbon, fit faire pour le renfermer un reliquaire d'or, enrichi de pierres précieuses; il établit un chapitre composé de sept vicaires pour le garder; ces vicaires étaient dotés de 60 livres tournois, à condition que le jour des morts ils réuniraient cinq cents personnes, les plus pauvres des châtellenies du Bourbonnais, et donneraient à chacune deux denrées (une livre) de pain, une pinte de vin, une cotte de drap de la valeur de 5 sous, une paire de souliers de 19 deniers, 3 deniers en monnaie et pour 3 deniers de viande.
La postérité de Louis 1er conserva le Bourbonnais jusqu'au célèbre connétable de Bourbon qui prit les armes contre François 1er. Dès ses jeunes années, le connétable de Bourbon s'était fait remarquer par sa valeur à une époque si féconde en guerres illustres; rien ne manquait à sa gloire, lorsqu'une injustice du roi l'enleva à la France et à ses devoirs, et mit la maison de Bourbon dans une défaveur qui se prolongea jusqu'aux derniers jours du règne de Henri III. On sait que la duchesse d'Angoulème, mère de François 1er, fit valoir juridiquement les droits qu'elle prétendait avoir sur les domaines du connétable, et qu'elle gagna son procès. Le connétable de Bourbon, trop fier pour se voir dépouillé de ses biens, prêta l'oreille aux propositions qui lui furent faites par Charles-Quint et par le roi d'Angleterre, et il passa à l'étranger.
Il était déjà hors de France lorsque François 1er lui fit redemander l'épée de connétable, et l'ordre dont il avait été décoré; sa réponse annonce tout le ressentiment de son âme:
"Quant à l'épée de connétable, le roi me l'a ôtée à Valenciennes lorsqu'il confia à M. d'Alençon l'avant-garde qui m'appartenait; pour ce qui est de l'ordre, je l'ai laissé à Chantelles, derrière mon chevet."
Sa fuite seule fut déjà un malheur pour la France, car elle arrêta François 1er, prêt à passer en Italie; il y envoya l'amiral Bonnivet qui n'y éprouva que des défaites. Le connétable de Bourbon mourut au siège de Rome en 1527. La fierté de son caractère rendit toutes ses grandes qualités fatales à son pays, à lui-même, à sa famille. On assure que dans un temps où il était loin de prévoir qu'il s'armerait contre la France, il aimait à citer la réponse d'un gentilhomme gascon, à qui Charles VII demandait si quelque chose pouvait le détacher de son service:
"Non, sire pas même l'offre de trois royaumes comme le vôtre; mais oui, bien un un affront."
François 1er confisqua le Bourbonnais et le réunit à la couronne; il fit démanteler le château de Bourbon-l'Archambault, et démolir la forteresse de Chantelles, principale place d'armes de la contrée, édifice immense dont on voir encore de nos jours des débris imposants.

                                                                                                                  A. Mazuy.

Le Magasin universel, mars 1837.

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