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vendredi 17 juillet 2015

L'incident Bertol-Graivil Grosjean.

L'incident Bertol-Graivil Grosjean.


Nous avons eu une nouvelle soirée historique. Tous les Parisiens connaissent la silhouette fine de M. Grosjean, juge au tribunal de Versailles, dont nous avons eu à nous occuper au cours du procès Dreyfus.



Or, M. Grosjean qui a, paraît-il, l'étoffe d'un conspirateur impénitent, avait réuni le 22 février, dans le salon de l'un de ses amis, une demi-douzaine de confrères de marque, pour arrêter les bases d'un enlèvement sensationnel... Il s'agissait simplement d'enlever M. Loubet, président de la République, et de lui substituer un autre président, voire même un monarque.
C'est l'Etoile belge qui nous a révélé ce grand complot.
Le correspondant parisien de l'Etoile belge, notre confrère Bertol-Graivil, interrogé par le président de la Haute Cour a désigné M. Melcot, avocat général à la Cour de cassation commue lui ayant fait cette confidence.



M. Melcot le tenait, lui, de la femme d'un sous-préfet.
Pendant que les journaux bâtissaient sur cette nouvelle affaire des monuments de mystères et de ténèbres, M. Grosjean, qui se promenait à Spa, télégraphiait à ses amis que l'on se trouvait en présence d'une fable ridicule. Puis,  comme on faisait courir le bruit de sa fuite, le pseudo conspirateur est rentré à Paris.
Voici les passages importants des déclarations qu'il a faites à ceux qui l'ont interrogé:
"Le 22 février, le lieutenant Mercier n'était pas encore rentré du Soudan en France; le 22 février, mon frère faisait, comme lieutenant de cavalerie, un cours à l'Ecole de tir du camp du Ruchard; le 22 février, il n'y a point eu de soirée chez moi. A la vérité, j'ai eu dans les premiers jours de février quelques invités. Je n'ai pas eu l'honneur de prier de se joindre à eux M. Cavaignac ni M. Quesnay de Beaurepaire qui ne sont jamais venus chez moi. Je n'ai pas offert à dîner. Il n'a pu être question de remplacer M. Loubet à l'Elysée, pour cette excellente raison qu'à cette date, M. Loubet n'était pas président de la République, M. Félix Faure n'étant pas mort. A coup sur, on ne s'est entretenu dans cette modeste réunion d'aucun coup de force a entreprendre contre le gouvernement. Si j'ai besoin d'un garant, je demanderai qu'on entende un homme qui a dans la magistrature une situation au moins équivalente à celle de M. Melcot. Républicain très ferme, homme d'ordre, il était ce soir-là, avec sa femme, dans ma maison qu'il a quitté le dernier. Il a tout entendu de ce qui s'est dit. Lorsque M. Béranger connaîtra son nom, il ne pensera pas qu'il eût assisté à un conciliabule pour arrêter des mesures contre les pouvoirs établis.
Pour moi, on a dramatisé: M. Waldeck-Rousseau exerce la dictature: la Haute-Cour est réunie: un complot est nécessaire, et voilà une pauvre petite pendaison de crémaillère élevée à la dignité d'événement historique: je deviens criminel d'Etat pour avoir un soir d'hiver fait causer le général Roget avec Barrès et Gyp. Cependant je ne puis oublier que trois jours avant ma fameuse soirée je dînais de compagnie avec Gyp, Barrès et Millerand. Si c'est un crime de s'asseoir à la même table que Gyp et Barrès, le ministre du commerce est un conspirateur autant que le général Roget; pareillement, tous ceux qui vinrent un jour chez moi, bien avant la mort, je le répète, de M. Faure, sont des conspirateurs comme M. Millerand."
M. Grosjean est allé rendre visite au président de la Haute Cour, et comme l'honorable M. Bérenger n'avait pas le temps de lui donner audience, le magistrat versaillais lui dit rapidement:
- Permettez-moi seulement, de vous montrer immédiatement, monsieur le président, une pièce de commerce qui fixera la date exacte du dîner donné par moi à un certain nombre de mes amis.
Et M. Grosjean montra à M. Béranger une facture acquittée à la maison Rebattet, pâtissier, rue du faubourd Saint-Honoré,12, datée du lundi 30 janvier 1899.
Cette date du 30 janvier ne permettrait pas de croire que l'on ait pu agiter au dîner Grosjean la question d'enlèvement de M. Loubet, président de la République, puisque à cette époque M. Loubet était, non pas l'hôte de l'Elysée, mais le président du Sénat, et que personne ne pouvait prédire la mort subite de M. Félix Faure.
M. Grosjean a été en butte à sa sortie du Sénat, aux questions des journalistes. Il s'est contenté de répondre:
- Pour ma part, j'approuve absolument les mesures prises par M. Béranger à mon endroit. A sa place, moi, juge d'instruction, j'aurais agi comme il l'a fait, à la suite des affirmations produite par un magistrat aussi haut place que M. Melcot.
"Quant à lui, nous verrons plus tard."
A l'heure qu'il est, après un nouvel interrogatoire, on considère l'incident comme définitivement clos.

La Vie Illustrée, 13 octobre 1899.

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