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mercredi 29 juillet 2015

La maison et le chat de Sainte-Beuve.

La maison et le chat de Saint-Beuve.


On a fêté, il y a peu de temps, le centenaire de Sainte-Beuve. Le célèbre critique était né en 1804, à Boulogne-sur-Mer. Il étudia d'abord la médecine, mais la quitta bientôt pour se livrer tout entier aux lettres. Son premier ouvrage: Poésies de Joseph Delorme, attira sur lui l'attention de Victor Hugo, et il fit partie du célèbre "Cénacle". Mais ce fut dans la critique littéraire que Sainte-Beuve acquit bientôt une célébrité universelle. Ses Portraits sont saisissants de vérité et de relief. Son Histoire de Port-Royal est un chef-d'oeuvre d'érudition.

La maison de Sainte-Beuve.

Sainte-Beuve habitait une petite maison du commencement de la rue du Montparnasse qui existe encore aujourd'hui, et sur laquelle le conseil municipal a fait apposer une plaque commémorative.
C'est dans la salle à manger de la rue du Montparnasse que se perpétra le fameux dîner du vendredi saint auquel assista le prince Napoléon, dîner qui fit justement scandale, le jambon et les saucisses ayant tenu la plus grande place au festin.
On accédait au premier étage du logis du maître par un escalier en bois, qui grimpait du vestibule, menant directement à une pièce oblongue, assez grande, qui était pour l'écrivain, tout à la fois, sa chambre à coucher et son cabinet de travail.

Le chat de Sainte-Beuve.

L'ameublement en était plus que simple, sommaire même: quelques sièges et une crédence que surmontait le buste de la princesse Mathilde. Puis occupant largement le milieu de la pièce, une table recouverte d'un tapis de drap vert, encombrée de livres, brochures, manuscrits qui se profilaient en une chaîne de montagne, parcourues en tous sens par le brave Polémon, le chat favori, dont la robe tigrée se détachait, de relief, sur le fond jaune des Charpentier, coupé des taches saumon de la Revue des Deux-Mondes.
Polémon avait ses franchises dans l'asile inviolable du maître, où ne pénétraient que les intimes, allongeant à travers le cataclysme de la librairie sa souple échine velue, battant l'air d'une queue nerveuse, entr'ouvrant à peine, dans les doucereuses jouissances d'une paresse infinie, son grand œil rond, d'un vert doré, dont le regard grandissait ou diminuait, suivant le cours de la lune.
Il ronronnait aux gronderies caressantes de son maître, mais semblait réserver ses meilleures câlineries, à griffes rentrées, ses effluves de passion pour un des plus sûrs amis de la maison, Théophile Gautier, qui fut un charmeur de chats. Polémon le sentait venir, il se convulsait à son approche et, fébrilement, se couchait sous sa main large, douce et molle, cambrant son dos, ainsi qu'un arc-de-triomphe, ou s'aplatissant et rampant ainsi qu'une couleuvre, revenant sans cesse sur lui-même, comme hypnotisé sous un contact magnétique.
Dans un coin de la pièce était un petit lit de fer. Sainte-Beuve y dormit, y souffrit et y mourut. Il n'en a jamais, je crois, connu d'autre, lit d'ascète, où le sommeil répare le corps, dans le repos, mais ne prend, de la pensée, que ce qu'on lui abandonne.

Comment Sainte-Beuve travaillait.

Il y avait d'ailleurs du moine dans ce sceptique, dont le travail incessant, renouvelé chaque jour, rappelle la ténacité du bénédictin replié sur lui-même, dans le silence d'une cellule. Levé tous les matins avec le soleil, il s'attelait au labeur, sans interruption, jusqu'à midi, se soutenant à peine d'une tasse de laitage, nous dit un de ses biographes caché sous le nom de Silvio.
Puis, après sept heures de travail, on comprend quelle put être l'abondance de sa production, ces sept heures de travail quotidien s'étant renouvelées pendant plus de quarante années, il prenait rapidement un déjeuner frugal , et dormait environ pendant deux heures.
Ensuite, ajoute l'ami de l'écrivain, Silvio, à qui nous devons ces intéressantes révélations, commençait le second acte bien différent du premier; l'esprit ayant donné la somme de travail nécessaire, l'heure était venue, comme il disait, de "fatiguer la bête". Le littérateur exquis devenait alors un simple curieux, d'une curiosité presque naïve, qui se contentais à peu de frais, et le plus souvent dans son quartier, dont il dépassait rarement les frontières.

Il ne payait pas de mine.

Qui donc, n'étant pas prévenu, aurait pu croire que l'historien de Port-Royal, c'était ce petit bonhomme replet, sans élégance, à la figure bouffie, glabre et rasée comme l'est celle du comédien; qui, chapeau en arrière et parapluie sous le bras, marchait doucement, semblait rouler plutôt, son ventre rond surplombant ses petites jambes, n'était la finesse du regard jaillissant sous des sourcils épais d'un gris jaunâtre, on l'eût pris pour un bon petit bourgeois en balade digestive.

Les après-midi de Sainte-Beuve.

Et c'était une promenade incessante et comme un besoin d'activité factice; la bête se surmenait, pour rendre ensuite toute liberté à l'esprit.
Volontiers, la course se prolongeait avant dans la nuit. Quelquefois aussi, la soirée se terminait dans un théâtre de banlieue: Montparnasse de préférence; c'était plus près, et Sainte-Beuve y avait presque des habitudes. Ou bien le délassement était encore moins recherché, plus vulgaire: et c'est aux Folies-Montparnasse, sorte de café chantant, qu'il demandait la distraction des dernières heures de la soirée. Il y était connu des clients, respecté et presque populaire. Il y fit, certain jour, rencontre d'un personnage bizarre, déclassé, un savant oublié dans un beuglant, un Hellène du nom de Pentasidès, on ne saurait mieux dire, lequel, paraît-il, parlait le grec des anciens comme feu Périclès.
Sainte-Beuve se lia d'amitié avec lui, , lui vint en aide et, reprenant ses humanités sur le tard, en fit son professeur de grec, pour mieux le secourir, sans l'humilier.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 29 janvier 1905.

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