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samedi 27 juin 2015

Les Fêtes de nos pères: La saint Alexis.

La fête de saint Alexis.


Des vingt pages que le P. Giry consacre à la vie de saint Alexis, dont l'Eglise célèbre la fête le 17 juillet, combien sont appuyées sur des actes authentiques? Peut-être pas trente lignes, s'il faut en croire les critiques les plus estimés. Joseph l'Hymnographe (IX siècle) est le premier qui, dans une de ses hymnes grecques, donne la légende populaire. 
Faut-il en rappeler les principaux traits?
Alexis, fils d'un noble romain, la nuit même de ses noces, avant de pénétrer dans la chambre nuptiale, abandonne sa fiancée et sa famille, s'enfuit de Rome, passe de longues années à l'étranger au service d'une église dédiée à la Vierge Marie, revient à Rome, où il vit, comme Lazare, inconnu dans la maison paternelle et ne se fait connaître qu'au moment de sa mort.
Voilà l'histoire; elle ne tient guère plus de place dans le légendaire sacré que la vie du neveu de Charlemagne dans la chronique d'Eginhard. Au surplus, il en fut de saint Alexis comme du preux Roland. Sa vie enthousiasma de bonne heure l'âme populaire. Race épique par excellence, les Normands, qui célébraient alors tous les héros nationaux, s'emparèrent de la légende grecque et en firent jaillir un poème. Le récit d'un moine de l'abbaye de Fontenelle, rapporté par Mabillon (1), permet en effet de croire qu'un chanoine de Rouen, Tedbat de Vernon (XIe siècle), composa la cantilène qui fut découverte, en 1845, à Hildesheim (Hanovre), par Wilhelm Muller, et dont MM. Gaston Paris et L. Pannier donnèrent, en 1872, dans la bibliothèque des Hautes-Etudes (7e fascicule), une édition si soignée. Cette chanson obtint, au moyen âge, une vogue considérable; les jongleurs la chantaient après les offices aux porches des églises. Voici quelques strophes translatées du texte du XIe siècle:


A l'un des ports qui est le plus près de Rome,
C'est là qu'arriva la nef de ce saint homme
Quand il voit son pays, Alexis tremble fort
D'être reconnu par ses parents
Et d'être encombré des biens de ce monde.
......................................................................
Il sort de la nef et va droit à Rome,
Il va par les rues qu'il connait bien,
L'un puis l'autre il rencontre, et son père
Accompagné d'un grand nombre de ses hommes, 
Il le reconnaît et l'appelle par son vrai nom.

Adjuré de lui donner l'hospitalité au nom du fils perdu, Euphémien, le père d'Alexis, cède à cette prière.


Sous l'escalier où il gît sur une natte,
On le nourrit des restes de la table.
Sa pauvre vie il mène avec grand courage;
Mais il ne veut pas que sa mère le sache
Plus aime Dieu que tout son lignage.

Le ton de cette cantilène est épique. C'est un véritable poème; il y règne un souffle chevaleresque; mais bientôt arrivent des lettrés qui veulent corriger le texte primitif. Hélas! à chaque remaniement, le style s'altère et l'allure dévie.


A mesure qu'on s'éloigne de l'époque héroïque où la chanson vibra pour la première fois, les strophes ne rendent plus le même son et perdent leur rythme. Voici pourtant une version d'un beau mouvement; c'est la complainte des veillées, telle qu'on la chante encore dans les villages provençaux (2):


2. Per oubei a soun pero
La facho demandar.

3. Per oubei a sa mero
La vougud' espousar

4. Lou premier soir des noueços
Elexi fait que plourar?

5. - Mais que n'as-tu, Alexis,
Que fas ren que plourar?

6. - A diuou ai fache promesson
Vu de virginitat.


Alexis prend sa besace et part en voyage.

17. Au bout de sept anneios
Alexis a retournat.

18. Au casteou de soun pero
N'en es vengut piquar.

19. Doou ped piqu' à la puerto
Lougeariatz lou roumiou (3).

La famille consent à l'abriter.

26. Li aut dreissor sa coucheto
Souto les escariers.

...............................................

28. Au bout de sept annelos
Alexi a trepassat.

29. Les camponos de Roumo
Se sount mess' à sounar.

................................................

33. Soun pero n'en descende
Plourant et souspirant.

34. Se sies moun fiou Alexi
Agues à moi parler.

35. De ta belo man droite
Agues à moi toucher.

36. Sa mère n'en descende,
descende les degrés.

37. Si sies moun fiou Alexi
Aigues à moi parler.

38. De ta belo man droite
Agues à moi toucher.

................................................

La femme d'Alexis descend à son tour et prononce les mêmes paroles. Le poète ajoute:

42. Doou custat de sa dreche
Li trouv' un mot d'escrit;

44. Qu'Alexi s'en annavo
Tout drech en paradis.

Ainsi qu'il est facile de le voir, le cantique recueilli par Damase Arbaud est traduit du français. La Provence a tiré cette cantilène de notre répertoire. La version originale ne circule plus au-delà de la Loire; mais, avec le texte d'Arbaud, rien ne serait plus facile que de la reconstituer. A quel siècle remonte cette version? Au XVIe siècle peut être.
Vers le milieu du XVIIe siécle, un sieur Robinet Macé, encore un Normand, publiait chez son compatriote Richard Auzouet, de Rouen, une Vie de monsieur saint Alexis (4), où le poème du chanoine Tedbat de Vernon se vit infliger un nouveau remaniement.


(1) Mabillon, Acta ordinis sancti Benedicti, sæculo tertio, p. 378.
(2) Nous la reproduisons d'après l'ouvrage devenu si rare de Damase Arbaud; Chants populaires et historiques de la Provence, 1864, t. II, p. 25.
(3) " Logerez-vous le romieu?" Roumieu, pèlerin qui a fait le voyage à Rome.
(4) Voir Histoire des livres populaires, par Nizard, t. II, p. 151.


Les fêtes de nos pèresOscar Havard, Mame, 1898.

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