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samedi 18 octobre 2014

Un collège vers l'an 1500.

Un collège vers l'an 1500.


Il reste bien peu de choses des collèges qui firent autrefois la gloire de l'université de Paris. Leurs derniers débris achèvent de disparaître; bientôt il n'y en aura plus de trace que dans quelques estampes gravées, comme le dessin que l'on voit ici, avant que les démolitions, ou, si l'on aime mieux, les embellissements, aient atteint à leur tour ces pentes de la montagne Sainte-Geneviève, antique asile de la science et de l'étude, qui ont conservé jusqu'à nos jours le nom de quartier latin.



Le collège de Beauvais fut fondé, en 1370, par Jean de Dormans, évêque de Beauvais, chancelier de France, et sa chapelle élevée à la fin du même siècle, par Miles de Dormans, neveu de Jean, et comme lui évêque de Beauvais, au moyen de trois mille florins d'or que celui-ci avait légué à cet effet. Cet édifice, type élégant de l'architecture à la fin du quatorzième siècle, renfermait les tombeaux de plusieurs personnages de la famille du fondateur. Un tombeau de marbre noir, érigé devant le maître-autel, portait les statues en cuivre de Miles de Dormans et de Guillaume de Dormans, archevêque de Sens, morts , l'un en 1387, l'autre en 1405. Sur les côtés de la chapelle, six statues en pierre représentaient trois hommes et trois dames de la famille. Toutes ces effigies ont péri, à l'exception de celle du chancelier Jean de Dormans, mort en 1380, et de son frère Renaud, archidiacre de Châlons-sur-Marne, mort en 1386, qui ont été recueillies au musée de Versailles. "Il paraît certain, dit M. de Guilhermy dans son excellent Itinéraire archéologique de Paris, qu'à l'époque où le conservateur du Musée des monuments français fit composer, avec des fragments du moyen âge, la chapelle sépulcrale d'Abélard et d'Héloïse, maintenant placé au cimetière du Père-Lachaise, une des trois statues féminines de la famille de Dormans fut chargée de remplir le rôle de la belle et savante Héloïse. On peut la voir encore, couchée sur un même sarcophage, à côté d'un Abélard dont la figure n'est pas plus authentique."
Le collège de Beauvais a compté parmi ses professeurs saint François Xavier, qui y enseignait, en 1531, la philosophie, et plus tard le cardinal d'Ossat. "Il fut administré, au commencement du siècle dernier, dit encore le même auteur, par deux hommes d'un rare mérite, Rollin et Coffin. Ce dernier fut inhumé dans la chapelle du collège. C'est dans la même chapelle que se firent, sous la restauration, les premières expériences de l'enseignement mutuel. Elle devint ensuite un magasin de literie militaire, et les bâtiments (renouvelés au seizième et au dix-septième siècle) qui avaient servis d'habitation aux maîtres et aux étudiants, furent convertis en casernes.
On sait généralement assez peu ce qu'étaient les collèges vers la fin du moyen âge. Leur physionomie était bien différente alors de celle que nous leur connaissons. M. J. Quicherat en a tracé le curieux tableau dans un livre savant (1) où sont rassemblés et mis en lumière un grand nombre de faits intéressants pour tous ceux qui s'occupent du passé de l'enseignement. Nous le mettons sous les yeux de nos lecteurs;
"L'Université de Paris exista longtemps sans collèges, et lorsqu'on commença à fonder des établissements de ce genre, ils ne furent que de petites maisons de charité où quelques écoliers pauvres d'une même ville, d'un même diocèse, d'une même province, trouvaient le gite et la nourriture, jusqu'à ce qu'ils eussent obtenu leurs grades. Ceux qui étaient admis à jouir de ce bienfait s'appelaient boursiers. Réunis tous ensemble, ils formaient une fraction imperceptible du peuple universitaire. Le sort du plus grand nombre des écoliers était de vivre hors des collèges, les uns livrés à eux-mêmes, les autres associés par chambrée sous des chefs de leur choix, d'autres enfin tenus en pension par les maîtres qui les instruisaient. En ce temps-là, il n'y avait d'enseignement public que pour la philosophie. Les cours si renommés et si fréquentés de la rue du Fouarre portaient uniquement sur cette science. Jusqu'à ce qu'on fût en état d'y être admis, on allait apprendre chez les professeurs. Mais à la fin du quatorzième siècle l'exercice des classes fut institué dans quelques collèges avec un succès qui amena presque toutes les autres à les imiter. Des professeurs de latin donnèrent à heure fixe des leçons où purent assister les écoliers du dehors. Bientôt on reçut à demeure dans les collèges, sous le même toit et à la même table que les boursiers, ceux de ces écoliers qui pouvaient payer pension; puis le défaut de place fit établir, sous le nom de pédagogies, des maisons que l'on peut comparer à nos pensionnats suivant les cours de l'Université...
" Les écoliers formaient plusieurs catégories, dont chacune relevait du principal à un titre différent. D'abords les boursiers, quand il y en avait, étaient ses concitoyens plutôt que ses sujets. Il ne les gouvernait qu'en prenant l'avis d'un conseil formé de plusieurs d'entre eux. Sa supériorité sur eux n'était à beaucoup d'égards que celle du premier d'entre ses pairs.
"En principe, il avait plus de pouvoir sur les convicteurs ou portionistes, qui étaient ceux que nous appellerions des pensionnaires. Les parents les lui avaient confié pour les nourrir, les morigéner et les instruire: par conséquent il était investi à l'égard de chacun d'eux d'une partie de l'autorité paternelle; mais en fait, l'exercice de cette autorité appartenait plutôt aux professeurs. Le maître de la classe dans laquelle étudiait le collégien était beaucoup plus pour lui que le principal.
" Il y avait encore les caméristes, jeunes gens riches qui travaillaient sous la direction d'un pédagogue ou précepteur particulier. Ils étaient en chambre, se nourrissaient et se faisaient servir à leurs frais. Le principal ne leur fournissait seulement le local, l'instruction de ses classes et le feu pour la cuisine. Tel pédagogue prenait à sa charge cinq, six élèves ou plus, jusqu'à avoir besoin d'un aide pour le seconder, et ainsi se constituaient dans l'établissement des pensionnats à part sur lesquels le chef supérieur n'avait qu'un droit de police générale.
" Les martinets ou externes libres, qui fournissaient le plus à l'effectif des classes, dépendaient encore moins de lui. Il ne les connaissait pas. Leurs relations étaient avec les régents, à qui ils devaient une rétribution convenue entre eux au commencement de l'année. Les martinets n'avaient affaire au principal qu'au moment de passer l'examen de bachelier ou de se présenter à la maîtrise; ils allaient alors prendre de lui, moyennant finance, un certificat d'études qui leur était délivré sur l'attestation du professeur. Si donc les martinets renonçaient à se présenter aux grades, ils pouvaient, à moins de causer des troubles graves, fréquenter un collège, et même plusieurs à la fois, sans que le principal sût seulement qu'ils existaient: c'étaient la cas des galoches ou externes amateurs, étudiants surannés pour qui suivre les classes étaient devenu une profession. Leur nom venait de ce que l'hiver, ils portaient des patins ou galoches pour se conserver les pieds au sec à travers les boues du quartier Latin. Ils assistaient aux leçons avec l'autorisation des régents, dont l'amour-propre était flatté de voir des hommes faits, souvent des têtes blanches, garnir leur auditoire d'adolescents.
" Il faut encore compter comme une classe d'écoliers les domestiques; car presque tous ceux qui balayaient ou écuraient dans les collèges étaient de pauvres garçons qui faisaient ce métier pour l'avantage d'attraper ça et là un peu de latin ou de philosophie. Il y avait ceux de la maison, ceux des caméristes, ceux des régents. Nécessairement, ils obéissaient chacun à leur maître.
"Difficile était la tâche du principal, qui avait à maintenir l'ordre au milieu de ce peuple hétérogène...
"Professeur dans les collèges n'était une carrière que pour un petit nombre d'hommes sans ambition, qui avaient dans le cœur l'amour inné de la jeunesse. La plupart de ceux qui régentaient se proposaient de gagner par là de quoi subvenir aux frais de leurs études en droit, en médecine, en théologie. Avant trente ans ils déposaient la férule, et les statuts leur conféraient le droit de la prendre dès vingt et un ans, voire dès dix-huit, s'ils méritaient d'obtenir dispense. C'étaient par conséquent de très-jeunes gens, enclins à leur âge à épouser les petites passions de leurs élèves, souvent même à se mêler à leurs jeux.
" L'engagement en vertu duquel ils enseignaient était un contrat d'un an, par lequel le directeur du collège s'obligeait à les nourrir et à les loger; un salaire ne s'ajouta à l'entretien que du temps de François 1er. La rétribution qu'ils tiraient de leurs élèves forma jusque-là leurs appointements, et cet argent leur était payé à eux-mêmes, sans passer en main tierce. A deux termes de l'année, les écoliers le leur apportaient, et en recevaient quittance dans l'effusion d'un grand dîner, dont les maîtres avaient fait non-seulement la dépense, mais encore les apprêts. On voyaient ceux-ci se mettre en mesure plusieurs jours à l'avance: les uns allaient au marché, les autres se partageaient les fonctions de sommeliers, de boulangers, de cuisiniers; et pour que le régal fût complet, des harpes et des flûtes exécutaient des symphonies pendant le repas. Ces fêtes, qui avaient toujours lieu un lundi, s'appelaient les grands lundis; on leur donna au seizième siècle le nom de Minervalia. Il y avait des lendemains et des surlendemains, où les écoliers achevaient de vider leurs bourses pour rendre à leurs professeurs la politesse qu'ils avaient reçue d'eux.
"Tout cela formait entre les uns et les autres des liens étroits, qui le devenaient encore davantage pour les portionistes, vivant sous le même toit et mangeant tous les jours dans la même salle. Naturellement le professeur groupait autour de lui les jeunes suppôts de sa corporation; il se constituait leur protecteur, et trop souvent se faisait de leur reconnaissance un appui pour cabaler contre le principal: si bien que dans les révoltes, les maîtres étaient presque toujours de complicité avec les élèves, et qu'un régent congédié ou transfuge emmenait avec lui dans un autre collège et les martinets de sa classe, et les portionistes de sa clientèle.
"Pour pénétrer les coalitions, pour prévenir les escapades, le principal n'avait à vrai dire qu'un agent sur lequel il puisse compter: c'était son portier, le gardien de la porte unique dont les règlements voulaient que fussent percés les collèges. L'importance de ce domestique atteignait des proportions sans égales. Comme il avait l’œil sur tous les allants et venants, qu'il pouvait faire parler l'un et l'autre, il était le seul qui sût bien ce qui se passait dans la maison. Aussi s'appliquait-on à le choisir intelligent, vigilant, incorruptible. Il était réputé parfait lorsqu'à ces qualités il joignait une poigne vigoureuse.
"Les écoliers de la fin du quinzième siècle n'étaient plus ceux dont les rixes avaient tant de fois couvert la Montagne de blessés et de morts. Le régime des collèges avait opéré une salutaire influence sur les mœurs de la jeunesse. Néanmoins il restait toujours dans les mœurs un fond d'emportement et d'indomptable sauvagerie qui se manifestait dans les querelles et dans les jeux. S'il était difficile que les batteries allassent jusqu'au sang sous les yeux des maîtres, on se dédommageait aux exercices très-mal surveillés de la rue de Fouarre, où les élèves des divers collèges se rencontraient pour le complément de la bachelerie. Là on voyait encore des mêlées qui finissaient par des coups de couteaux.
"A l'intérieur subsistait la barbarie des mauvais traitements infligés aux nouveaux, et tolérés ou, ce qui est la même chose, mollement défendus, parce qu'ils étaient consacrés par un usage immémorial. Les aspersions d'eau et d'ordures, les insultes, les extorsions d'argent, étaient les épreuves les plus douces par lesquelles on fût initié à la vie scolastique: cela s'appelait être béjauné, parce que les nouveaux étaient pour les autres des béjaunes ou becs-jaunes. Il y avait un abbé des béjaunes nommé par le suffrage universel pour présider à ces cruels passe-temps, dont les brimades et absorptions d'à présent ne sont qu'un pâle reflet.
"Des excès d'un autre genre accompagnaient les farces jouées dans la grande salle ou dans la cour des collèges. Ce plaisir avait remplacé peu à peu les danses au tambourin, seul divertissement connu de la jeunesse des premières écoles. Ce fut la manière de célébrer toutes les fêtes du calendrier universitaire: les écoliers s'y livrèrent avec une ardeur qui tenait de la frénésie. On invitait les collégiens du voisinage et des bourgeois de la ville. Les grands composaient la pièce; toutes les classes se cotisaient pour payer les tapisseries, les banquettes et les costumes. Ils y dépensaient ce qu'ils avaient et même ce qu'ils n'avaient pas, jusqu'à vendre leurs livres et leurs habits pour se procurer de l'argent. On avait bien de la peine à empêcher ces folies...
"Il ne faudrait pas croire, d'après tout cela, que la discipline fût molle; mais la pétulance était plus forte que la crainte. On avait l'idée plutôt que le sentiment de la soumission. C'était la faute du temps; on n'était plus barbare, on n'était pas encore civilisé.
"Les peines corporelles était la grande ressource pour obtenir l'assiduité et l'obéissance. Tout régent montait en chaire armé de la férule. Il châtiait lui-même les actes de  dissipation ou de paresse. Un délit plus grave entraînait l'exposition au réfectoire ou le fouet. Or ces cas graves n'étaient pas des cas rares. Si l'on avait parlé français au lieu de parler latin, si l'on avait menti, juré, injurié, frappé, ou si l'on avait pas dénoncé un de ces délits dont on eût été témoin, vœ natibus! comme s'écriait Erasme. De là cet air de geôle qu'avaient les classes et qui révoltaient les hommes réfléchis; de là "ces cris d'enfants suppliciés et de maîtres enivrés en leur colère." (2) Montaigne ne fut pas le premier à s'en plaindre; mais la verge, dans l'idée de ces vieux universitaires, n'aurait su être trop employée. Un pédagogue célèbre du temps de François 1er se lamentait des progrès de l'indulgence, et déclarait la jeunesse perdue si l'on renonçait à mâter son arrogance à force de coups. C'est l'honneur de l'Allemagne d'avoir insinué dans nos collèges la mansuétude qu'elle érigea en doctrine dans les siens, lorsque partout ailleurs la maxime était de meurtrir les chairs pour mieux graver les choses dans l'esprit et le cœur.
"La propreté, qui est parvenu chez nous à un tel raffinement, était une vertu naissante au quinzième siècle. Elle fut introduite dans le régime des collèges plutôt comme un principe louable que comme une pratique rigoureuse. Sauf la chaire du professeur, les classes n'avaient ni banc, ni siège d'aucune sorte; elles étaient jonchées de paille pendant l'hiver et d'herbe fraîche pendant l'été. Les élèves devaient se vautrer dans cette litière soi-disant pour faire acte d'humilité. Leur uniforme, consistant en une robe longue serrée à la taille, était faite pour ramasser l'ordure et aussi pour la couvrir. Qui pourrait dire ce qui se cachait sous l'habit scolastique? Nous en avons l'idée par un article qui fut inscrit dans les règlements intérieurs. Au réfectoire, pendant toute la durée du repas, il était défendu (qu'on nous pardonne la crudité de ce détail historique) , il était défendu de porter la main à son bonnet, tant l'état des têtes inspirait de crainte. Cependant on recommandait à la jeunesse de se peigner, de se laver, mais on ne pointillait pas sur l'exécution. L'inspection s'arrêtait à la surface sans aller épiloguer le dessous, et la discipline se tenait pour satisfaite lorsque l’œil n'était pas choqué. C'est par là que se forma la renommée proverbiale dont a joui si longtemps la crasse des collèges."



(1) Histoire de Sainte-Barbe, collège, communauté, institution, Paris, Hachette.
(2) Montaigne, Essais, I, chap. XXV.


Le magasin pittoresque, 1865.

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