Translate

samedi 9 août 2014

Une grève de cordonniers à Madrid.

Une grève de cordonniers à Madrid.
                                             en 1680



"Tous les cordonniers de Madrid, dit Gourville (1), ont une épée attachée au côté, même quand ils vont au travail. Quand un cordonnier apporte à quelqu'un une paire de souliers, après avoir fait la révérence, il met son épée contre la muraille, et vient le chausser."
Une émeute de cordonniers pouvait, d'après cette coutume, ne pas être sans gravité. Vers la mi-mai de 1860, une ordonnance du duc de Medina-Celi ayant réglé le prix des souliers, ces industriels lui adressèrent une requête pour exposer qu'ils ne pourraient pas réduire le prix des chaussures tant que le cuir serait aussi cher qu'il l'était. Le duc les renvoya devant le président de la chambre des alcades; mais celui-ci, en les voyant en aussi grand nombre avec leurs épées au côté, entra dans une violente colère et les menaça de prison. Là-dessus, les cordonniers allèrent chercher leurs compagnons et leurs amis, se rendirent tous dans la cour du palais, et se mirent à crier de toutes leurs forces sous les fenêtres du roi: Viva el rey, y muera el mal gobierno! (2).
Le roi, ayant regardé à la fenêtre, fut fort étonné. Il envoya en diligence le président de Castille, qui parvint à se faire entendre de cette multitude, et lui dit de se rendre chez lui, en donnant l'assurance qu'il serait permis de vendre les souliers aussi chers qu'avant l'ordonnance. En chemin, on rencontra le président des alcades, qui s'irrita de nouveau, appela les cordonniers des mutins, des séditieux, avec forces menaces. Les cordonniers mirent alors l'épée à la main pour le tuer. Il se sauva, ils le poursuivirent. Heureusement, au milieu de ce trouble, il se précipita dans une maison par une petite porte qu'il referma aussitôt, et parvint à s'échapper; mais il tomba malade de peur et faillit en mourir.
Cependant, les cordonniers obtinrent satisfaction du président de Castille, et, prenant eux-mêmes des tambours et des trompettes, ils allèrent proclamer leur victoire sur les places publiques.
Quelques jours après, on en arrêta quelques-uns, puis on les relâcha. On voulut, à cette occasion, défendre aux gens de métier de porter l'épée et l'habit noir de soie avec la golille; mais ce ne fut qu'une velléité à laquelle on n'osa pas donner suite. (3)


(1) Mémoires relatifs à l'histoire de France, t. XXIV
(2) Vive le roi, et meure le mauvais gouvernement!
(3) Cette anecdote est racontée plus longuement par Mme d'Aulnoy dans ses Mémoires de la cour d'Espagne.

Magasin Pittoresque, 1877.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire