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samedi 2 août 2014

Balzac en robe de chambre.

Balzac en robe de chambre.


Dans quelques jours, le 28 mai, reviendra l'anniversaire de naissance du plus puissant des romanciers du XIXe siècle, Honoré de Balzac, né à Tours, en 1799. Chacun connait cette suite de chefs-d'oeuvre d'observation vivante qu'est la Comédie Humaine; tout le monde a lu Eugénie Grandet, le Père Goriot, le Colonel Chabert...
Mon Dimanche, aujourd'hui fera connaître à ses lecteurs, par quelques anecdotes typiques, comme il l'a fait pour Victor Hugo, l'homme intime dont ne parlent pas les manuels littéraires et que l'on ignore généralement.



Extrêmement orgueilleux et se croyant, de bonne foi, apte à toute espèce d'ouvrage, Balzac avait dirigé lui-même, avec un despotisme sans concession, la construction de son pavillon aux Jardies (Ville-d'Avray), acheté plus tard par Gambetta qui y mourut. Mais s'il est douteux que dans les plans, il ait oublié l'escalier, il est avéré que, trouvant qu'il gênait l'harmonie et n'admettant aucune critique, aucun conseil de son architecte, il le fit poser au dehors de sa maison, faute de pouvoir le caser à l'intérieur.

La bague merveilleuse.

Balzac croyait aux puissances occultes, au merveilleux.
Un soir, en plein hiver, à minuit, il arrive précipitamment, rue de Navarin, chez son ami Laurent Jan, le réveille, le force à s'habiller et veut l'emmener séance tenante au "café du Mogol", où des tonnes d'or et de pierreries les attendent! Ce n'est pas une mauvaise plaisanterie ni une hallucination passagère. Non, c'est une conviction enracinée chez lui depuis longtemps. Il est persuadé qu'une bague de quatre sous qu'il possède est un talisman qui va lui donner d'incalculables richesses, et que c'est à l'ambassadeur de Turquie qu'il doit ce beau secret! On eut mille peines à l'en dissuader.

Un drame à 750.000 francs.

Il avair la monomanie du théâtre et comme, chez lui, tout tournait à l'opération commerciale, calculant le résultat pécuniaire éventuel, même avant de posséder un germe d'idée, il disait:
- Mon projet est du granit rose; nous y taillons une pièce pour la Porte-Saint-Martin! c'est au moins 150 représentations à 5.000 francs l'une dans l'autre; cela fait 750.000 francs. Or, à 12 % de droit d'auteur, c'est plus de 80.000 francs qui nous reviendront! Nous voila riche!
Et ces beaux discours s'adressaient aux auteurs auxquels il demandait leur collaboration et leurs idées, prenant ses rêves de bénéfices pour des réalités.

Les malheurs de Lassailly.

Dans un de ces accès fréquents de rage théâtrale, il attira chez lui un bon et faible garçon, Lassailly, esprit flottant et songeur, auquel il fit mener une existence impossible
Il passa avec lui un traité verbal aux termes duquel ce jeune homme devenait son collaborateur attitré, pour tout ce qui concernait les ouvrages dramatiques à élaborer en commun. A toute réquisition, Lassailly devait lui fournir un projet, un plan de pièce!
Il le logea aux Jardies, le nourrit très bien, l'ayant perpétuellement sous sa coupe, et dès lors commença une véritable comédie humaine.
Comme Balzac ne travaillait lui-même que la nuit, il sonnait à tout bout de champ Lassailly qui accourait, réveillé en sursaut, les yeux gros de sommeil, et n'avait aucune espèce de scénario en tête.



Il le renvoyait se coucher, le rappelait une heure après, et ainsi de suite cinq ou six fois par nuit, ce qui ne pouvait aboutir qu'à troubler un cerveau déjà faible.
Si bien que le pauvre diable dépérit, tomba malade et s'enfuit. Depuis ce séjour fantastique, il ne pouvait entendre qu'avec terreur prononcer le nom de Balzac.

Le commanditaire.

Quand en 1834, Balzac fonda le Chronique de Paris, le hasard lui amena un jeune dandy qui demandait à faire des articles de modes, et se trouvait être le fils d'un banquier très riche.
Aussitôt, suivant sa coutume, Balzac s'enthousiasma, et pas une seconde ne douta que ce ne fût là le bailleur de fonds de ses rêves.
Il en était tellement sûr que, sans avoir songé à lui parler de rien, Balzac l'invita à un coûteux souper, auquel assistait toute la future rédaction, et dont les préparatifs furent épiques. N'ayant pas le sou, Balzac emprunta  à un ami de l'argenterie qu'il porta au Mont-de-Piété, et qu'il devait dégager le lendemain du repas.
Qu'est-ce cela faisait puisqu'il allait nager dans le pactole?
Au dessert, il se lança dans un toast superbe et imagé où il célébra "la générosité, l'appui, la protection du jeune bienfaiteur", et finit par dire à son hôte: "Veuillez, notre bien cher ami, exprimer ce que votre libéralité a le projet de faire pour la Chronique."



Or, voici la mémorable réponse qu'il reçut:
- Messieurs, je parlerai de votre affaire à papa!
Patatras! Encore de magnifiques illusions évaporées!

Comment Balzac travaillait.

Pour écrire ses volumineux romans remplis d'observations minutieuses, exactes, de descriptions quelquefois longues, mais toujours scrupuleusement conformes à la réalité, Balzac avait une façon toute particulière que nous allons rapporter, pour en déconseiller l'emploi aux jeunes auteurs: il dînait à cinq heures et à six heures précises se couchait, avec, selon son expression "son dîner au bec". A minuit, il se levait, passait son pantalon, enfilait ses savates, se préparait quelques tasses de café et, s'installant à son travail, n'en bougeait plus jusqu'à midi sonné! Et c'est ainsi qu'il fit en vingt ans les quarante volumes de la Comédie humaine, et qu'il se tua.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 mai 1903.

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