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vendredi 6 juin 2014

Un attelage de tortues.

Un attelage de tortues.

On a fait les essais les plus bizarres sur les différents moyens de locomotion et les divers attelages qu'il est possible d'employer: pour en avoir quelques exemples nous n'avons qu'à faire une petite promenade au Jardin d'Acclimatation de Paris, où nous pouvons nous faire transporter et traîner par une autruche aussi bien que par un éléphant, par un zèbre ou bien par un chameau. Un Européen habitant la côte du golfe du Siam a eu dernièrement une idée plus originale.
Aimant beaucoup les promenades en bateau sur mer, et ne pouvant s'acheter un canot à vapeur qui aurait eu pour lui le tort de coûter trop cher, et ne voulant pas d'autre part se fatiguer à ramer, il cherchait quelque animal sachant bien nager qu'il pût atteler devant son embarcation, à la façon des chevaux marins dont parle la mythologie et qui tiraient le char de Neptune.
Précisément, on pêche souvent dans le golf de Siam de grandes tortues de mer, qui ont l'habitude de nager très vite à la surface de l'eau, et qui sont douées d'une grande force. Notre homme en acheta deux, qu'il paya un bon prix, puis les attacha à l'avant de son canot, de façon à ne point gêner leurs mouvements, et de telle sorte qu'en se mettant à nager, elles pussent traîner l'embarcation. Notre navigateur leur attacha du reste à la tête, des cordes qui jouaient exactement le rôle des rênes dans un attelage ordinaire; il s'embarqua, et fouette cocher! On se dirigea assez rapidement vers la mer.
C'était charmant: les deux tortues nageaient à une vitesse plus grande que celle d'un homme marchant au pas, et leur conducteur n'avait qu'à les laisser aller, le temps était magnifique. Mais tout à coup, il s'aperçut que les tortues avaient une tendance à s'éloigner constamment de la côte; il commençait d'ailleurs à se trouver fort loin en mer.
Alors, il se mit à tirer sur une des guides pour faire tourner son attelage; mais ce fut bien en vain, car celui-ci résista et refusa d'obéir. Les tortues s'étaient mis dans la tête de ne pas approcher de ce rivage où l'on avait eu la cruauté de les atteler comme des vulgaires chevaux.
Tous les efforts de notre navigateur furent inutiles, et comme la nuit vint, il ne lui resta plus qu'une ressource: couper les traits de ses bêtes, abandonner les rênes et laisser retourner en pleine mer les deux tortues, qui étaient trop lourdes pour qu'il aient pu les monter dans son canot.
Heureusement, il avait emporté deux avirons, car il se vit obligé de se mettre à ramer et de regagner la côte, jurant, mais un peu tard, qu'il ne renouvellerait plus ses expériences d'attelages ordinaires.

                                                                                                                        I. Tattler.

Mon Journal, recueil hebdomadaire illustré pour les enfants, 3 novembre 1894.

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