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samedi 14 juin 2014

Des longs cheveux.

Des longs cheveux.

Suivant Hésychius, patriarche de Jérusalem, les marques extérieures de notre perfection sont une longue barbe et une longue chevelure. Aux âges les plus reculés, les Perses, les Grecs portaient de longs cheveux. Hérodote raconte qu'en signe de deuil les Perses coupaient non seulement leurs cheveux mais aussi la crinière de leurs coursiers. Le même historien, nous apprend que les Argiens, vaincus par les Lacédémoniens, sacrifièrent leur chevelure et décrétèrent qu'ils resteraient ainsi rasés tant qu'ils n'auraient pas reconquis la ville de Thyraea. A Lacédémone, Lycurgue avait maintenu l'usage des longs cheveux, par une loi dont nous parle Plutarque; mais cette loi ne fut pas longtemps respectée. Les jeunes gens de Lacédémone ne tardèrent pas à faire comme ceux d'Athènes, c'est à dire à couper leurs cheveux, pour aller les offrir sur l'autel de quelque dieu. Les barbares que l'on voyait arriver dans les villes grecques, soit pour servir, soit pour faire le commerce, étaient tous chevelus; les jeunes Grecs craignaient sans doute de leur ressembler.
Les Gaulois, non ancêtres, portaient tous la longue chevelure. Vaincus par les Romains, ils furent condamnés à perdre cette marque de leur antique indépendance. Dans l'énumération que fait Lucain des peuplades gauloises entraînées par César au delà des Alpes, il compte le Ligurien aujourd'hui rasé (nunc tonse Ligur) , autrefois orné d'une luxuriante chevelure (quondam per colla decora crinibus effusis). Un commentateur dit à ce propos: "Anciennement, toute la Gaule était chevelue: Olim omnis Gallia erat comata." C'est une remarque que viennent confirmer de nombreux témoignages. Il paraît cependant que les Gaulois affranchis reprirent l'ancien usage, et que pour se distinguer de leurs esclaves, ils les rasèrent. Parmi les dons faits à un époux le jour des noces, Ausone compte quatre jeunes garçons et autant de jeunes vierges, rasés les uns et les autres, suivant l'usage: Omnibus, in morem, tonsa coma. Les Francs, les Goths et les autres peuplades septentrionales qui s'établirent dans les Gaules après les Romains, laissaient eux aussi tomber sur leurs blanches épaules les anneaux de leur épaisse chevelure. Ayant réduit les Gaulois en servitude, ils ne leur permirent pas de laisser croître leurs cheveux. Dès lors ce fut le privilège des nobles de porter des cheveux longs: ils furent interdits aux gens des bourgs et des campagnes, aux plébéiens. Quand un noble, coupable de quelque méfait, était dégradé, on le condamnait à perdre ses cheveux. Clotaire 1er, refusant de reconnaître Gondebaud, qui se disait son fils, le fit raser, au rapport d'Aimoin et de Grégoire de Tours, pour marquer que cet imposteur était de race servile, car on prétendait que son véritable père était meunier. Aussi les anciennes lois, qui étaient encore en vigueur du temps de Clotaire, infligeaient-elles une grosse amende à celui qui, par fraude ou par violence, avait déshonoré la tête d'une homme libre en la rasant.
Quand les mœurs s'adoucirent, quand un régime plus humain remplaça les dures conditions de l'antique servitude, les plébéiens, les manants émancipés réclamèrent le droit de porter comme les nobles, de longs cheveux. Ce fut une question qui fut longtemps agitée avant d'être résolue. Vers la fin du douzième siècle, ceux qu'on appelait les vilains, héritiers directs , mais non sans mélange de race, des vieux Gaulois, fournissaient à l'Eglise la plupart de ses dignitaires, à l'université naissantes la plupart de ses docteurs, à l'Etat une bonne part de ses officiers civils; et cependant, il leur était toujours interdit de porter les cheveux longs. C'est Pierre Lombard, le Maître des sentences, qui fit lever cette interdiction, étant évêque de Paris, "par la puissance, dit Jean Bodin, que lors avoient les évesques sur les rois." Grave atteinte aux mœurs, aux habitudes féodales! Quoi! l'on ne pouvait plus désormais discerner à quelque distance un noble d'un vilain! Pierre Lombard fut signalé comme un novateur téméraire; et si l'on avait de plus amples renseignements sur l'histoire de cette époque, on y trouverait peut être que le procès fait au livre des Sentences vint des rancunes de la noblesse autant que des scrupules exagérés des théologiens.
A dater du treizième siècle, toute personne laïque eut donc, en France, le droit de laisser croître ses cheveux. Les uns les peignaient avec plus ou moins de soin que les autres: ceux-ci les nourrissaient (pour employer le terme consacré dans la langue des historiens, des jurisconsultes et des barbiers) avec des onguents suaves à l'odorat, tandis que ceux-là les laissaient errer au hasard, sans culte, sans onguents, sur leurs oreilles ou sur leur front; mais il n'y avait pas d'autre différence. Cela dura jusqu'au règne de François 1er. Personne n'ignore que François 1er ayant reçu sur la tête, dans une des fêtes bruyantes de la cour, un tison enflammé, fit raser ses cheveux pour mieux soigner sa plaie, et porta la barbe longue comme les Italiens et les Suisses. "Soudain, au témoignage de Jean Bodin, le courtisan et puis tout le peuple fut tondu, tellement que dès lors en avant, on se moquait des longs cheveux." Cependant les gens de la cour adoptèrent à peu près seuls l'usage de la longue barbe. Deux des plus grands corps de l'Etat, le parlement et l'université, voulurent demeurer fidèle à la tradition. Olivier de Neuville, qui fut depuis chancelier, étant alors maître de requêtes, ne fut admis aux audiences qu'après avoir coupé sa barbe. Un décret universitaire de l'année 1534 défendit la barbe à tous les régents des collèges, à tous les docteurs des facultés.
La mode ramena plus tard, en France, les longs cheveux, mais sous une forme nouvelle. Nous parlons des perruques, des gigantesques perruques du siècle de Louis XIV: on ne peut, en effet, les omettre dans cette rapide histoire des variations de la coiffure. Elles furent abandonnées pour les cheveux frisés, auxquels succédèrent les cheveux longs et plats. Revint ensuite la mode des cheveux courts, et puis celles des cheveux longs. C'est maintenant affaire de simple caprice; mais aux temps plus anciens la discipline de toutes les parties de la toilette était réglée, dans la société civile comme dans la société religieuse, par des lois qu'on n'osait pas enfreindre.
Les Grecs perdirent bien plus tôt que les Français l'ancien ornement des hommes libres. En l'année 829, le fils de Michel le Bègue, Théophile, monta sur le trône des Césars. C'était, on le sait trop, un farouche iconoclaste. Mais on sait moins qu'étant chauve, il fit un édit pour défendre à tous les sujets de l'empire, Grecs ou Romains, de porter des cheveux qui descendissent en dessous des oreilles.
C'est ce que fit aussi Philippe le Bon, duc de Bourgogne, au rapport de Pontus Heuterus. Il était depuis longtemps affecté d'une maladie que ses médecins étaient malhabiles à guérir. Ceux-ci lui conseillèrent, pour soulager sa tête toujours souffrante, de couper ses cheveux. Il suivit leur conseil; mais, s'apercevant bientôt qu'on riait à la cour de son étrange et vile coiffure, il ordonna que tous ses parents, et ensuite tous ses courtisans, fussent rasés comme lui. L'exécuteur de cette sentence fut un des premiers officiers de la maison ducale, nommé Pierre Vasquenbach.
De l'ancien préjugé touchant la dignité des longs cheveux il ne reste plus qu'une superstition grossière. Si vous voyez en songe tomber vos cheveux sous le ciseau, c'est, disent les commères, un épouvantable présage.

Magasin Pittoresque, 1853.

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