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dimanche 29 juin 2014

Ceux dont on parle.


Jean Richepin.

Bien que M. Coppée et M. Rostand soient entrés à l'Académie, notre plus grand poète est M. Jean Richepin. Il est vrai que le sévère palais de l'Institut ne pourrait recevoir sans trembler cet homme fougueux, aux muscles puissants, ce fils de la Bohême qui jamais ne consentit à sacrifier un pouce de son indépendance.
Voyez-vous M. Richepin et M. Faguet se prenant de querelle et donnant aux portraits affligés des académiciens disparus le spectacle d'un corps digne des gars de Ménilmontant? car ces deux grands hommes  ne s'aiment guère et ils l'ont bien prouvé jadis, dans une lutte mémorable dont fut témoin l'Ecole Normale. M. Faguet ayant été rossé, promit à son adversaire de lui consacrer de doux articles quand il serait critique en vue et que Richepin ferait représenter des pièces de théâtres.



On écrirait un volume à raconter les aventures de cet homme de lettres original. Né en Afrique, à Médéa, il suit Bourbaki comme franc-tireur en 1871.
Puis il s'installe sur la butte Montmartre et mène la vie la plus folle du monde avec ses amis Bouchor et Ponchon. C'est la pleine dèche, mais comme on s'amuse! En 1876 le voilà à Sainte-Pélagie; il s'est fait condamner à un mois de prison et la pertes de ses droits civiques en publiant les poésies bien connues de la Chanson des gueux. Plus tard il s'engage comme matelot sur un navire marchand et fait le métier de débardeur à Bordeaux.
Ayant écrit Nana Sahib, il joue lui-même cette pièce avec Sarah Bernhardt. Il a aussi peu de préjugés qu'un poète peut en avoir. Se trouvant à Londres sans le sou, car, quoiqu'on n'ait pas d'argent il faut bien se distraire et voyager, il se laisse aborder par un de ces sergents recruteurs pour qui se procurer des enrôlés emploient toutes sortes d'argument et surtout le whisky; le sergent l'invite à déjeuner: Richepin mange de bon  appétit, boit avec entrain, simule une pointe d'ivresse (ce qui ne lui est pas fort difficile) et brusquement... pfft! il est dehors.
Un autre jour, il se promène à la foire de Neuilly où l'athlète Marseille provoque l'admiration de la foule, mais non de Richepin. Celui-ci le défie, et c'est le poète qui "tombe" sur le lutteur.
Aujourd'hui qu'il est père de trois enfants dont l'un est marié, il a calmé ses goûts aventureux et se contente, pour faire travailler ses muscles, de pratiquer toutes sortes de sports; il monte indifféremment à cheval ou à bicyclette; l'hiver, il fait tous les matins, en vélo, avant de se mettre au travail, une promenade de vingt kilomètres dans son jardin de la rue Galvani. Vingt kilomètres! Parfaitement, cela représente cent cinquante tours de jardin. L'escrime et la boxe eurent également ses faveurs, et l'été, lorsque la famille Richepin allait s'installer en Bretagne, une barque à voile conduite par l'auteur du Flibustier et de la Mer emmenait Mme Richepin, Tiarko et Sacha au large. (Tiarko et Sacha ne sont pas ces petits chiens, comme on pourrait le croire, mais le jeune fils et la fille du poète.)

                                                                                                                   Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 juillet 1903.

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