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samedi 24 août 2013

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique du Journal du Dimanche.

Il y a toujours une foule de mendiants à Paris, en dépit de toutes les ordonnances qui les proscrivent; le malheur est de ne pas pouvoir distinguer les vrais indigents des filous qui jouent dans la rue la triste comédie de la faim et de la misère.
Ainsi, il y a quelques jours, M. Auguste Lefranc, vaudevilliste, allumait un cigare à un bureau de tabac au moment où un ouvrier vint demander à la buraliste, d'un air très attristé, de lui donner la monnaie d'une pièce de quarante francs qu'il tendait. Les marchands, depuis quelque temps, ont horreur de l'or; aussi la dame de comptoir renvoya rudement l'ouvrier. M.Lefranc, voyant cela, tira de sa bourse huit pièces de cinq francs, qu'il offrit en échange de la pièce d'or.
L'ouvrier le remercia avec émotion. Mais, à peine eut-il fait quelques pas dans la rue, que cet homme le rejoignit; et, après avoir balbutié quelques paroles d'excuses, ajouta:
- Hélas ! monsieur, cette pièce d'or dont vous venez de me donner la monnaie, c'est ma pièce de mariage. Voilà huit ans que je la conserve avec amour; mais aujourd'hui la cherté des vivres... la misère, me forcent à la changer... Je vous supplierai donc de ne pas la dépenser, et de me la rendre, si l'ouvrage me revient, et que je puisse vous en rapporter la valeur. M. Lefranc, très ému, le promit, donna sa carte, et dit à l'ouvrier que, à partir de ce moment, il lui accordait trois mois pour venir retirer son louis d'or.
Maintenant, la moitié des amis du vaudevilliste l'approuvent de garder la pièce, en s'attendrissant sur le sort de l'ouvrier; l'autre moitié dit en riant que c'est une pièce fausse, et que le soi-disant malheureux n'a pas voulu la laisser aller plus loin.
Toujours le doute qui vient se placer entre les pauvres inconnus et votre charité. Voilà pourquoi les inondés ont reçu des dons si abondants, c'est qu'on est bien sur qu'il ne feignaient pas d'avoir leurs champs submergés et leur maison écroulées.
Les indigents des campagnes reçoivent aussi de larges aumônes, parce qu'on sait à qui elles s'adressent. Témoin la fête de charité qui vient d'avoir lieu à Etretat, au bénéfice des pauvres du pays.
Madame Dorus-Gras, depuis dix ans retirée de l'Opéra, et habitant un château sur ce rivage, a organisé chez elle, pour cette circonstance, une matinée musicale, à laquelle la foule est accourue. La grande cantatrice a reparu elle-même dans cette solennité, et a été couverte d'applaudissements.
Madame Potier a chanté des couplets, composés par M. Anicet Bourgeois pour cette fête de bienfaisance, et ces vers de circonstance sont si remarquables, que nous ne pouvons résister au plaisir d'en citer quelques-uns:

Notre Etretat, chaque saison nouvelle;
Pour vous, demande un ciel d'azur
Un chaud soleil, une mer toujours belle,
 La fleur éclose et le fruit mûr.

Pour vous mieux recevoir, le modeste village
A pris son air de fête, et montre avec gaieté
Ses rochers merveilleux, ses barques au rivage;
Mais il cache une chose, et c'est sa pauvreté.

Confiant en la Providence
Il sait que Dieu, dans sa bonté
Près du malheur met l'espérance
Près du plaisir la charité.

Quand vous aurez joyeux quitté la plage
Brillante, animée aujourd'hui,
L'hiver viendra, long et sinistre orage
Traînant le malheur avec lui.

Plus de chant au dehors, au foyer plus de fête
Plus de rude travail, gage du lendemain;
Pour l'enfant presque nu, pour sa mère inquiète,
Froide sera la bise, et cher sera le pain !

Mais il est une providence, etc.



A propos de malheur, nous avons à vous apprendre une grande catastrophe. Vous vous souvenez tous du général Tom-Pouce, qui fit l'admiration de Paris par sa taille d'un pied de haut, bonne à mettre dans la poche. Eh bien, Tom-Pouce vient d'être victime d'un vol qui l'a presque ruiné. Le nain avait gagné en se montrant des masses de diamants; ils étaient dans une boite renfermant tous les joyaux précieux reçus de la munificence des souverains et des amateurs de miniatures humaines . A Cincinnati, où il donnait des représentations, Tom-Pouce avait placé cette boite sur son piano, et elle en a subitement disparu, pour passer dans la poche d'un habile voleur, qui a enlevé ainsi plus de cent mille francs.
On dit que le Général se fait faire une épée de la longueur d'une aiguille et des pistolets gros comme des tuyaux de paille pour aller à la poursuite du voleur.

Il vient d'arriver à Janina un événement bien extraordinaire.
Près de cette ville, une bande de brigands a assailli l'école d'un village, enlevé le professeur et tous les enfants, qu'ils ont transportés dans une montagne.
Là, choisissant huit des élèves qu'ils pensaient appartenir aux parents les plus riches, ils ont fait dire à ceux-ci, par le professeur et les autres élèves renvoyés au pays, qu'ils demandaient trois cent mille piastres de rançon par tête de ces enfants.
La plupart des parents se sont empressés de racheter ces pauvres petits êtres. Mais un des pères, trop pauvre pour payer la rançon, est allé au camp des brigands demander à genoux qu'on lui rendit son enfant. Le chef de la bande, paraissant se rendre à ses prières, a fait amené le fils de cet homme et, à ses yeux, lui a déchargé un pistolet dans la poitrine. Puis il lui a dit de charger le corps de son fils sur ses épaules et de le remporter, parce qu'il le lui rendait.

                                                                                                             Paul de Couder.

Journal du Dimanche, littérature-histoire-voyages-musique, 2 novembre 1856.


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