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dimanche 25 août 2013

Causerie du docteur.

L'hiver et les rhumes.

Voici venir l'hiver" tueur de pauvres gens"; voici le temps du froid, de l'humidité, de la neige, le temps où
                                         "...l'on s'enrhum' du cerveau
                                          Où l'on fait l'chat qui rebiffe
                                          Où l'blair coul' comme un nez d'veau"
comme dit le vagabond du poète Richepin, chantre des Gueux.
Pour peu poétique qu'elle soit, cette comparaison exprime bien l'un des principaux ennuis du rhume de cerveau, maladie démocratique, égalitaire par excellence, qui ne respecte aucun nez, si haut soit-il placé.

Le nez d'un milliardaire.

On a pu même apprécier récemment les conséquences sociales qui ... découlent de la "goutte du nez" d'un milliardaire, alors qu'il s'appelle Pierpont Morgan, car ses éternuements inattendus ont fait baisser la Bourse, tout autant que la chute d'un ministère ou que la perte d'une grande bataille!
Je vous vois déjà sourire, ô sceptiques lecteurs, et hausser les épaules en murmurant:
- Comment ! on va encore nous parler du rhume ! On sait depuis longtemps que tout ce que les médecins ont pu faire contre lui a été de le dénommer "coryza", et, assurément, les profanes "sont calés" là-dessus tout autant que la Faculté.
Eh bien, c'est ce qui vous trompe, chers lecteurs; le public, en général, ignore tout à propos de cette ennuyeuse affection; il ne sait surtout pas quels inconvénients graves peuvent succéder à un simple rhume, et surtout à quelles maladies mortelles celui-ci peut ouvrir la porte. C'est que le nez joue un rôle très important et pas assez connu.

L'importance du nez.

Par les cavités nasales doit passer l'air inspiré, seize à vingt fois par minute; et tous les microbes qui flottent autour de nous, dans l'air ambiant, sont, normalement, arrêtés par les bourrelets de la muqueuse nasale comme par les replis d'un filtre; là, ils meurent ou perdent leur propriétés nocives, ce qui revient au même.
Que cette muqueuse soit malade, irrités, ses sécrétions anormales ne pourront plus neutraliser ou paralyser les germes déposés, qui auront alors toute facilité pour pulluler et se propager dans le voisinage, c'est à dire vers de multiples directions:
Vers l'oreille. Les cavités nasales communiquent par la trompe d'Eustache avec l'oreille moyenne, c'est à dire avec cette portion de l'appareil auditif situé en arrière du tympan ( la caisse du tympan ) qui communique elle-même avec des cellules creusées dans l'épaisseur des os du crâne, d'où la possibilité d'abcès de l'oreille, de perforation du tympan, d'abcès du cerveau, de méningite etc, etc. On peut ainsi mourir d'un rhume de cerveau; il peut, en tout cas, devenir le point de départ d'une quasi-surdité très ennuyeuse ( cas des plus fréquents ).
Vers l'oeil. Quand on pleure, on a envie de se moucher. Pourquoi ? c'est que le canal de la glande lacrymale vient s'ouvrir dans le nez. Les microbes peuvent donc remonter ce conduit et causer son infection, d'où abcès du coin de l'oeil, irritation de l'oeil lui-même; etc, etc.
Vers le front, vers la joue. Les os de la face sont creusés, au niveau des pommettes, du front, de larges cavités tapissées d'une membrane muqueuse en continuité avec celle du nez; donc, les abcès peuvent se collecter dans ces sinus, comme on dit, abcès souvent méconnus qui deviennent le point de départ d'un écoulement chronique par les narines et de douleurs névralgiques intolérables ( sinusites maxillaires, sinusites frontales ).Une opération assez délicate peut seule venir à bout de ces affections repoussantes.
Vers les bronches, vers le poumon. Nous aspirons continuellement des bacilles de la tuberculose. La poussière est leur principal véhicule. Certaines professions surtout exposent à l'inoculation par l'air inspiré. Les étudiants en médecine, les infirmières, surveillantes des hôpitaux, qui passent une grande partie de leur vie dans des milieux particulièrement infectés, sont, plus que d'autres, capables de devenir phtisiques au cours d'un rhume de cerveau, puisque les bacilles ne sont plus arrêtés et détruits par le filtre nasal. Si bien que certains chefs de service interdisent la fréquentation de leurs salles d'hôpital aux élèves ou infirmiers souffrant d'un rhume.
Enfin, la muqueuse du nez elle-même peut s'infecter profondément, se farcir de microbes qui causent son épaississement, son hypertrophie, d'où écoulement purulent continuel par les narines et impossibilité de respirer avec elle.

Voilà donc les complications sérieuses qui peuvent accompagner le rhume de cerveau ou lui succéder.
Il ne faut donc pas négliger ou mépriser cette maladie parce qu'elle est banale et commune.

                                                                                                                           Dr André.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 janvier 1903.

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